L'abrogation porte bien sur la condition de l'article 155 du CGI
Le Conseil Constitutionnel n'a pas abrogé la condition d'inscription au RCS, il a abrogé cette condition telle qu'elle figurait au VII de l'ancien article 151 septies du CGI.
Mais les dispositions de l'article 151 septies, VII du CGI subordonnant la reconnaissance de la qualité de loueur en meublé professionnel à une inscription d'un membre du foyer fiscal en cette qualité au RCS ont été transférées dans des termes identiques à l'article 155, IV du même Code.
Il y a lieu de se demander si l'abrogation du Conseil Constitutionnel doit être étendue à la condition telle que prévue au nouvel article 155 alors que la décision du Conseil Constitutionnel ne portait que sur l'article 151 septies.
La réponse est positive car la condition y figurait exactement dans les mêmes termes et pour le même objet : définir le LMP.
Dans ces conditions, il faut appliquer, selon moi, le principe de l'autorité de la chose jugée des décisions du Conseil Constitutionnel. Il ne peut être saisi une deuxième fois de la même question, même si elle porte sur un nouveau texte, du moins si les dispositions sont identiques, dans leur substance et dans leur rédaction.
Pour être complet, je signale que, pour certains auteurs éminents, le Conseil Constitutionnel n'ayant pas abrogé formellement la condition figurant à l'article 155, elle est toujours en vigueur. Je ne partage pas ce point de vue mais il peut se défendre, d'autant mieux que LEFIFRANCE n'a toujours pas modifié à ce jour le texte de l'article.
La position récente des services fiscaux
Le Conseil Constitutionnel a pris sa décision le 8 février 2018.
C'est seulement le 20 mars 2019 que l'administration a pris en compte cette décision au BOFIP (actualité 20 mars 2019 mais de façon très sommaire.
Dans son commentaire, l'administration se contente d'indiquer :
"(…) À compter de cette décision, la condition d'inscription au RCS figurant dans les dispositions actuelles de l'article 155 du CGI n'est plus exigée pour la qualification de loueur en meublé professionnel."
L'administration a également mis à jour sa doctrine officielle du BOFIP qui, jusqu'au 20 mars, continuait d'exiger la condition d'inscription.
Mais l'administration ne donne aucune précision sur la manière d'interpréter la disparition de la condition au titre de l'année 2018.
L'article 155 figure toujours inchangé dans LEGIFRANCE
A ce jour, l'article 155 (au 1° du 2 du IV) du CGI, qui prévoit la condition, n'a toujours pas été modifié. La condition d'inscription au registre du commerce figure d'ailleurs toujours dans le code général des impôts diffusé par LEGIFRANCE.
Les enjeux
Les loueurs en meublé vont devoir faire leur déclaration des revenus au titre de l'année 2018 et en conséquence la question peut effectivement se poser de savoir s'ils doivent se considérer comme des loueurs en meublé professionnels (LMP) s'ils remplissent les deux conditions de seuil de l'article 155, mais sans remplir la condition d'inscription au RCS, ou sinon comme des loueurs en meublé non professionnels (LMNP).
La question est loin d'être anodine, et notamment pour tous ceux qui vendu des immeubles au cours de l'année 2018.
Rappelons en effet, que les ventes d'immeubles réalisées par les LMNP relèvent du régime des plus-values immobilière privées alors celles réalisées par les LMP relèvent du régime des plus-values professionnelles.
Selon les cas, il peut être plus intéressant de relever du régime des plus-values privées que de celui des plus-values professionnelles.
Ceux qui pensaient être LMNP en 2018, au motif qu'ils n'étaient pas inscrits au RCS, ont pu réaliser des plus-values, déjà déclarées comme des plus-values immobilières privées, au moment de la vente de l'immeuble. Doivent-ils modifier leur déclaration ?
Le caractère obligatoire et annuel du statut de LMP
Le régime du LMP n'est pas une option.
De plus, le respect des conditions du régime LMP s'apprécie toujours sur une base annuelle
Une même personne ne peut être LMNP une partie de l'année, puis LMP l'autre partie de l'année. C'est un régime nécessairement annuel.
Cette position est conforme à la doctrine administrative qui évoque le fait que c'est seulement en fin d'année qu'une personne peut savoir si elle est LMP ou LMNP, ce qui peut obliger par exemple à corriger une déclaration de plus-value notariée faite par erreur en LMNP en cas de vente d'un immeuble en cours d'année (voir BOI-BIC-CHAMP-40-20 n° 470).
La décision du Conseil Constitutionnel du 8 février 2018 s'applique immédiatement
La décision du Conseil Constitutionnel précitée du 8 février 2018 se limite à l'abrogation de la condition et ne prévoit aucune règle particulière sur les modalités pratiques de la mise en œuvre de l'abrogation.
Dès lors, la décision est sensée s'appliquer à tous les contribuables dès sa publication, soit le 9 février 2018, mais en principe sans aucun effet rétroactif.
L'application de la décision du Conseil Constitutionnel à l'année 2018
La question est donc de savoir si l'abrogation de la condition d'inscription au RCS en cours d'année 2018 doit s'appliquer au titre de l'ensemble de l'année 2018 pour les loueurs en meublé qui remplissaient par ailleurs les deux autres conditions de seuil prévues à l'article 155, compte tenu du principe de l'appréciation annuelle des conditions du régime.
Selon moi deux réponses sont possibles.
Selon une première réponse, il faut interpréter strictement la règle d'absence d'effet rétroactif et considérer alors que la condition d'inscription au RCS était encore en vigueur au titre du début de l'année 2018, de sorte que les loueurs en meublé non-inscrits au RCS ne pourraient pas être LMP au titre de l'année 2018.
Selon une deuxième réponse, pour déterminer le régime applicable en 2018, ce qui compte c'est la réglementation applicable au 31 décembre 2018 et, à ce jour, la condition d'inscription ayant été abrogée, il n'y aura pas lieu de l'appliquer au titre de l'année 2018, dans sa totalité. Les personnes non inscrites seraient LMP pour toute l’année si elles remplissaient les deux conditions de seuil.
La deuxième réponse paraît plus conforme aux règles juridiques mais certains arguments d'équité vont dans le sens de la première réponse.
En effet, rappelons que les services de l'Etat n'ont pris aucune mesure pour tenir compte de la décision du Conseil Constitutionnel. Aucune modification de la doctrine n'est intervenue avant le 20 mars 2019. Par ailleurs, le texte n'a pas été modifié dans les dernières lois de finances. Pire encore, le site officiel de la République de LEGIFRANCE n'a toujours pas modifié à ce jour le texte de l'article 155 du CGI.
La portée de la doctrine administrative existant avant le 20 mars 2019
En matière d'impôt sur le revenu, c'est en principe la doctrine en vigueur au 31 décembre de l'année qui est opposable.
La doctrine opposable applicable aux plus-values soumises à l'IR s'apprécie à la date de la cession.
Cependant la doctrine administrative n'est pas opposable quand elle interprète un texte de loi abrogé, de sorte que, d'un point de vue strictement juridique, la doctrine administrative n'est pas d'un grand secours pour contester l'abrogation de la condition, sauf pour les ventes intervenues avant le 9 février 2018.
La faute de l'Etat
Mais il y a eu une faute grave de l'Etat du fait de l'absence de modification de cette doctrine avant le 20 mars 2019, et du fait de l'erreur de LEGIFRANCE, de sorte que, en pratique et selon moi, les contribuables qui y ont intérêt peuvent invoquer les anciennes règles au titre de l'année 2018.
C'est d'autant plus vrai que la publication du 20 mars 2019 ne donne aucune précision quant aux modalités de mise en œuvre de la suppression de la condition au titre des résultats et des plus-values réalisés en 2018. En pratique, selon moi, le risque de contestation des services fiscaux est très limité sur ce point.
Le régime LMP revendiqué pour les 5 années antérieures à l'année 2018 en cas de rappel portant sur une plus-value réalisée en 2018
Prenons le cas d'un loueur en meublé, non inscrit au RCS, mais qui remplit les conditions de seuil depuis 2014, soit 5 années avant 2018.
De plus, son chiffre d'affaires au titre de la moyenne des années 2016 et 2017 est inférieur à 90 K€.
A supposer que ce contribuable puisse être traité comme un LMP au titre de l'année, suite à l'abrogation de la condition d'inscription au RCS qui s'appliquerait pour toute l'année (ce qui me paraît douteux), ne pourrait-il pas faire valoir qu'en tout état de cause il peut revendiquer le régime de l'exonération de plus-value prévu à l'article 151 septies pour les LMP qui exerce depuis au moins 5 ans et qui ont un chiffre d'affaires moyen de moins de 90 K€ ?
Dans cette hypothèse le fait générateur de l'impôt est la réalisation de la plus-value faite en 2018. Donc il est possible de considérer que, à la date de la réalisation de la plus-value, il faut supprimer la condition d'inscription au RCS dans toutes les appréciations relatives au régime de cette plus-value.
Dans cette logique, le régime LMNP déclaré au titre des années antérieures peut être requalifié en LMP, mais uniquement pour les besoins de l'imposition de la plus-value réalisée au titre de l'année 2018.
De cette façon, ce contribuable, perdant le régime LMNP, pourrait récupérer un régime LMP lui offrant l'exonération de plus-value.
En matière sociale la condition d'inscription reste valable mais n'est plus opposable
C'est l'article L 611-1 du code de la sécurité sociale qui fixe les règles d'assujettissement pour les entreprises individuelles.
Pour les loueurs en meublé, ce texte prévoit deux conditions cumulatives d'affiliation. La deuxième condition est elle-même constituée de deux sous-conditions alternatives.
Les personnes assujetties au régime des TNS sont celles dont les recettes annuelles du foyer dépassent 23 K€ et qui, soit pratiquent l'activité de meublé de tourisme, soit sont inscrites au RCS.
La question est de savoir si la condition d'inscription au RCS prévue par le texte social et renvoyant directement au texte fiscal a été abrogée ou non par la décision du Conseil Constitutionnel portant sur le texte fiscal.
Selon moi, ce n'est pas le cas.
La condition d'inscription au RCS reste encore obligatoire dans le régime social. Le texte fiscal survit, mais uniquement pour les besoins du renvoi du texte social.
En effet, le Conseil Constitutionnel n'a aucunement pris position sur le régime légal prévu en matière sociale.
Donc en matière sociale, de nombreux loueurs en meublé ont intérêt à se désinscrire pour échapper aux cotisations sociales des travailleurs indépendants. Mais certains peuvent au contraire y trouver intérêt, notamment pour échapper à la contribution PUMA.
Selon moi, si la décision du Conseil Constitutionnel ne porte pas directement sur le texte social, elle peut toutefois être invoquée par toute personne qui serait assujetti au régime social des indépendants du seul fait de son inscription au RCS. Il pourrait faire valoir que cette inscription était une erreur et qu'elle ne peut lui être opposable.
Notons que si la condition d'inscription était retirée du texte social, il resterait toujours la condition des 23 K€ et la condition de l'activité des meublés de tourisme. Autrement dit, seuls les meublés de tourisme faisant plus de 23 K€ seraient assujettis. Mais, je le répète, selon moi, la condition d'inscription au RCS n'a pas été abrogée au sens social.