Mais quelques temps plus tard, le couple découvre que la plus-value ayant été réalisée alors que ses membres avaient le statut de résident fiscal suédois, il devait supporter l'impôt en Suède. Autrement dit, ils étaient bien exonérés d'impôt en France mais ils devaient payer l'impôt en Suède.
Ils attaquent alors le notaire en responsabilité en lui reprochant d'avoir omis de leur indiquer que la plus-value serait taxable en Suède.
Le notaire se défend en faisant valoir divers arguments. Il indique tout d'abord qu'il n'a commis aucune faute. Il indique qu'il n'a jamais donné de fausse information au couple. Il ne lui a pas fait croire qu'aucun impôt ne serait dû en Suède.
Le notaire fait également valoir qu'il n'y a pas de préjudice indemnisable car le paiement d'un impôt ne peut pas constituer un préjudice indemnisable.
La cour d'appel donne raison au notaire en estimant que le paiement d'un impôt ne constitue pas un préjudice réparable.
La Cour de cassation annule la décision de la cour d'appel.
Elle rappelle d'abord que le notaire a l'obligation d'informer et de conseiller les parties à l'acte et notamment sur les conséquences fiscales de l'opération.
Elle fait valoir enfin "qu'un préjudice peut découler du paiement de l'impôt auquel le contribuable est légalement tenu lorsqu'il est établi que le manquement du notaire à son obligation de conseil l'a privé de la possibilité de renoncer à l'opération et de rechercher une solution au régime fiscal plus avantageux."
Autrement dit, pour la Cour de cassation, s'il avait été informé de l'existence d'une imposition, le couple aurait pu renoncer à la vente et rechercher une autre solution pour faire l'opération sans payer d'impôt. Donc son préjudice est peut-être égal à l'impôt dû.
Rappelons que la Cour ne se prononce pas sur les faits, elle fait juste valoir l'erreur de droit de la cour d'appel qui a considéré à tort, et de façon trop générale, que le fait de payer l'impôt ne peut pas constituer un préjudice.
Il appartiendra à une autre cour d'appel de revoir le dossier et de s'interroger pour savoir si, au cas particulier, il y avait bien effectivement un moyen d'éviter de payer l'impôt.
Suite à cette décision je propose de faire quelques commentaires sur la notion de responsabilité notariale en matière fiscale.
Rappel sur l'obligation pour les notaires d'éclairer les parties sur les conséquences des actes
La profession de notaire n'est pas facile à exercer.
Les notaires ont le monopole de rédaction des actes authentiques et notamment des actes portant sur les immeubles.
En contrepartie de ce monopole, ils se doivent de réaliser des actes parfaitement réguliers. Cette régularité concerne notamment le respect du droit immobilier, du droit de la famille, du droit de l'urbanisme et du droit fiscal. Autant de réglementations particulièrement complexes.
A l'occasion des récents débats sur la loi MACRON, des notaires ont fait valoir à juste titre qu'ils avaient un rôle très important de conseil.
Effectivement, le métier de notaire ne consiste pas seulement à rédiger des actes mais aussi à conseiller les parties. Les notaires jouent un rôle très utile et de nombreuses erreurs sont évitées grâce à leur intervention.
Cela étant, il y a un décalage frappant entre le discours officiel et la pratique judiciaire. En effet, dans les dossiers judiciaires que j'ai à connaître, la défense des notaires est souvent basée sur l'idée que leur intervention se limitant à mettre en forme un accord déjà intervenu entre les parties, ils n'avaient aucune obligation de conseil, faute pour eux de pouvoir empêcher une opération déjà acceptée par les parties à l'acte.
Autrement dit, dans le débat public et pour défendre leur profession, les notaires font valoir qu'ils ont une obligation de conseil mais, quand on les attaque en justice en responsabilité civile, ils invoquent l'absence de toute obligation de conseil.
Cette position sur l'absence de conseil est directement contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation.
Dans un arrêt de principe du 18 octobre 1960 (n° 1488), la Cour de cassation a en effet indiqué :
"Mais attendu que les notaires, tenus professionnellement d'éclairer les parties, ne peuvent décliner le principe de leur responsabilité en alléguant qu'ils se sont bornés à donner la forme authentique aux déclarations reçues."
Cela étant, malgré cette décision assez claire, les juridictions du fonds, et mêmes des cours d'appel, continuent parfois de reprendre dans leur décision l'argument selon lequel le notaire s'étant contenté de mettre en forme l'accord des parties déjà intervenu, il n'avait aucune obligation de conseil sur l'opération.
Par ailleurs, il faut rappeler quelques principes dégagés par la jurisprudence récente :
Le devoir de conseil impose au notaire d'informer ses clients "sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours" (Cass. 1ère civ. 13 mai 2014 n° 13-13509), comme le risque de non-remboursement d'un prêt par le prêteur (Cass. 1ère civ. 7 novembre 2000, n° 96-21.732) ou sur un risque particulier.
Le notaire est fautif lorsque, connaissant le motif de défiscalisation des acheteurs, il ne les a pas informés des aléas de défiscalisation attendue (Cass. civ. 13 décembre 2005 n° 03-11433).
Il a été jugé que le devoir de conseil du notaire comprend une obligation d'avertissement quant à l'incertitude affectant le régime fiscal applicable à une opération et au risque de perte des avantages fiscaux recherchés par l'investisseur (Cass. Civ.1, 26 janvier 2012, n° 10-25741).
Le notaire ne pouvait ignorer qu'il s'agissait d'une opération de défiscalisation et qu'il se devait de fournir à l'acquéreur l'ensemble des informations concernant les obligations à respecter afin d'obtenir effectivement les objectifs fiscaux légalement prévus (Cass. civ. 30 septembre 2008, n° 06-21.183).
La question du calcul du préjudice indemnisable en cas de défaut d'information sur les conséquences fiscales de l'acte
Lorsqu'un notaire réalise une vente immobilière et qu'il a commis une faute sur le régime fiscal applicable, la question est ensuite de savoir si son client a réellement subi un préjudice causé par cette faute.
Si, même en l'absence de faute, l'impôt aurait été dû de toute façon, il n'y a aucun préjudice indemnisable à faire valoir.
Par exemple, si un notaire se trompe dans une déclaration de succession en faveur du client en lui faisant faire une économie d'impôt indue par exemple en sous-évaluant un patrimoine, le rappel fiscal ne sera pas considéré en principe comme un préjudice indemnisable, sauf peut-être à hauteur des pénalités ou d'un préjudice moral et matériel résultant du contrôle fiscal.
Il est possible de considérer dans certains cas que constitue ainsi un préjudice indemnisable la perte d'une chance qu'avait un contribuable de bénéficier d'un régime fiscal avantageux suite à une carence d'information de son conseil (Civ. 1ère, 5 mars 2009, n° 08-11.374).
Et il a été jugé que le rappel fiscal constitue un préjudice intégralement indemnisable quand il pouvait facilement être évité, sans incertitude, dans le respect de la réglementation fiscale et donc sans risque de rappel ultérieur (Com. 28 mars 2006, n° 04-16.659).
De même, le défaut d'information sur l'existence d'une alternative justifie l'indemnisation intégrale du rappel et non pas seulement une indemnisation partielle sur le fondement de la théorie de la perte de chance (Civ. 1ère, 9 décembre 2010, n° 09-16.531).
Autrement dit, un préjudice fiscal peut constituer un préjudice indemnisable s'il y a eu perte de chance de faire une opération similaire avec le même gain.
Le préjudice peut même être intégralement indemnisé s'il peut être démontré que, de façon certaine, en l'absence de faute, le préjudice aurait pu entièrement être évité.
La différence entre l'indemnisation intégrale et l'indemnisation partielle, c'est le pourcentage de probabilité que le préjudice aurait pu être évité.
Revenons à notre histoire du couple parti en Suède
Le notaire a commis une erreur bien compréhensible car il n'était pas évident pour lui d'anticiper le risque d'une imposition en Suède sur un bien français. Cela étant, c'est une faute technique incontestable.
Il savait que le couple était résident fiscal suédois et il aurait dû se douter qu'il y avait au minimum un risque d'imposition en Suède. Le notaire aurait dû au moins informer ses clients sur l'existence de ce risque. S'il l'avait fait aucune action en responsabilité n'était possible. Paradoxalement, le fait qu'il se soit inquiété d'une éventuelle imposition en France a eu pour effet de mettre en évidence sa carence sur le défaut d'information sur l'imposition suédoise.
Ensuite, la question est de savoir si, au cas d'espèce, l'impôt était un préjudice indemnisable et, même intégralement indemnisable.
Cela paraît discutable : si le couple avait décidé de vendre son bien, il était bien tenu de toute façon de payer l'impôt suédois.
Mais ce couple aurait-il renoncé à vendre s'il avait su qu'un impôt suédois était dû ? Y avait-il un moyen d'éviter de payer l'impôt ?
Il est difficile de répondre à ces questions sans connaître les faits avec précision.
Mais notons que si le couple avait pris la précaution de vendre son bien, avant de quitter la France et de devenir résident fiscal suédois, il aurait effectivement évité de payer tout impôt.
Peut-être aussi pourrait-il faire valoir que, s'il avait su qu'il aurait un impôt à payer, il n'aurait pas vendu et il aurait conservé le bien pour le récupérer à l'issue du détachement en Suède, à supposer que la mutation soit temporaire.
Peut-être enfin la réglementation fiscale suédoise permet des schémas pour éviter l'impôt, comme par exemple, à l'image de ce qui existe en France, et consistant à donner le bien à ses enfants avant de le vendre.
Il appartiendra à la cour d'appel de Metz, à qui est renvoyé l'affaire, de se prononcer.
D'une manière générale, il y a lieu de s'interroger sur la capacité d'un juge judiciaire français d'apprécier avec exactitude les possibilités offertes par la réglementation fiscale suédoise. Mais c'est un autre sujet.