Le 12 avril dernier, le gouvernement a présenté sa réforme de la fiscalité du patrimoine. Celle-ci prévoit notamment un allègement de l'ISF et la suppression du bouclier fiscal.
Il faudra cependant attendre le 11 mai 2011, date à laquelle le projet de loi sera présenté en conseil des ministres, pour connaitre tous les détails de la réforme.
Les informations techniques qui suivent sont donc à prendre au conditionnel. Le texte va certainement évoluer.
1 Allègement de l'impôt de solidarité sur la fortune
1.1 Principe de la réforme
Actuellement, l'ISF se calcule selon un barème qui comporte six tranches et des taux allant de 0,55 % à 1,80 % avec une franchise de 800 000 euros.
La réforme consiste tout d'abord à augmenter le seuil de déclenchement de l'ISF qui passera de 800 000 euros à 1,3 million d'euros.
Du fait de cette suppression de la première tranche de l'ISF, 300 000 personnes ne seront donc plus redevables de l'ISF.
D'autre part, le barème progressif sera supprimé et laissera place à un taux d'imposition unique s'appliquant sur l'ensemble du patrimoine, dès le premier euro.
Selon le montant du patrimoine, ce taux d'imposition sera de :
- 0,25 % pour les patrimoines compris entre 1,3 millions d'euros et 3 millions d'euros
- 0,5 % pour les patrimoines supérieurs à 3 millions d'euros
Toutefois, afin d'éviter des effets de seuil, le gouvernement prévoit un mécanisme de lissage : une décote entre 1,3 et 1,4 million et autour de 3 millions de patrimoine.
Les contribuables ayant un patrimoine de 1,3 à 3 millions d'euros déclareront et paieront l'ISF en même temps que leur impôt sur le revenu. Seuls les contribuables ayant un patrimoine supérieur à 3 millions d'euros auront à faire une déclaration spécifique.
Le plafonnement de l'ISF - la somme de l'ISF et de l'impôt sur le revenu doit être inférieur à 85 % des revenus - sera supprimé.
1.2 Mise en oeuvre de la réforme
ISF 2011
La première tranche devrait être supprimée dès cette année. Mais au-delà de la première tranche, le barème progressif sera maintenu pour la dernière année (donc avec les taux allant de 0,55 % à 1,80 %).
La date de déclaration et de paiement de l'ISF, actuellement fixée au 15 juin, devrait très probablement être reportée exceptionnellement cette année au 15 septembre, pour permettre le vote de la loi.
ISF 2012
Toutes les mesures de la réforme s'appliqueront.
2 Suppression du bouclier fiscal
1.1 Principe de la réforme
Le bouclier fiscal, mis en place en 2007, permet aux contribuables de plafonner leurs impôts directs à 50 % de leurs revenus de l'année précédente.
Ce bouclier sera supprimé en 2012.
1.2 Mise en oeuvre de la réforme
ISF 2011
Les contribuables dont les impôts payés en 2011 dépassent la moitié des revenus perçus en 2011 pourront bénéficier une dernière fois du bouclier fiscal en 2012.
Les contribuables ne pourront plus bénéficier des chèques de restitution. Ils devront déduire le montant du bouclier de leur ISF dû au 15 juin 2012. Et si le montant du bouclier est supérieur à celui de l'ISF dû, l'excédent sera reporté sur l'ISF dû l'année suivante.
Cela afin d'éviter la distribution de chèques de restitution pendant la campagne présidentielle.
ISF 2012
L'ISF 2012 ne pourra plus être limité par le bouclier fiscal.
1.3 Conseils pratiques
Il va falloir revoir les stratégies basées sur la plafonnement et le bouclier et se recentrer sur les solutions restantes pour minimiser l'ISF : donation de ses biens, démembrement (sauf si la réforme vise ce point), souscription au capital de PME, développement du patrimoine professionnel exonéré au détriment du patrimoine privé taxé.
3 Point de vue critique
Ici je vais donner mon point de vue, à la fois de fiscaliste et de citoyen. Bien entendu, ce point de vue est discutable.
Pour l'essentiel la réforme me paraît positive pour deux raisons.
La suppression du bouclier
La suppression du bouclier est une bonne chose, au moins d'un point de vue technique.
Le mécanisme du bouclier est l'exemple typique du principe selon lequel l'enfer fiscal est pavé de bonnes intentions.
Sur le papier, l'idée paraît équitable et simple : il faut plafonner tous les impôts à 50 % des revenus.
Mais en fait l'idée de base est incohérente car elle aboutit à mélanger les impôts sur la fortune, comme la taxe foncière et l'ISF, et l'impôt sur le revenu. Par principe, les impôts sur la fortune devraient être dus, quels que soient les revenus du contribuable. La légitimité de la taxation sur la fortune est sans rapport avec les revenus. La fortune est un avantage intrinsèque, même si elle ne procure aucun revenu.
Ensuite, le principe du bouclier a bien fait rire tous les fiscalistes de France car il faut savoir que, pour une personne très riche, il est assez facile de ne plus avoir de revenus. Donc le bouclier permet aux personnes très riches de ne plus payer d'impôt.
Enfin, la mise en oeuvre du bouclier a abouti à des raisonnements très complexes, s'agissant d'un mécanisme fiscal incluant des prises en compte décalées entre les impôts et les revenus, avec une détermination spéciale des revenus servant de base au plafonnement et une détermination spéciale des impôts pouvant être plafonnés. Sans parler du fait que les règles changeaient chaque année. La complexité du bouclier venait s'ajouter à celle des impôts sur le revenu. Par exemple, la question du traitement du caractère partiellement déductible de la CSG dans le calcul du bouclier pourrait donner lieu à un mémo de 10 pages.
Bref, que du bonheur pour les conseils fiscaux et les agents des impôts.
La réduction de l'ISF
La réduction de l'ISF est bienvenue car avec un taux marginal de 1,80 %, l'impôt était spoliateur.
A un taux de 0,5 %, il est déjà plus raisonnable, plus conforme à la notion d'impôt annuel sur la fortune. Du coup, il est moins insupportable à payer, les schémas de contournement sont moins justifiés.
Cela étant, selon moi, la bonne réforme aurait été de choisir un taux encore plus faible, mais avec une base élargie, sans aucune exonération ni réduction.
De plus, plutôt que de faire un savant lissage pour éviter l'effet de seuil, il aurait été plus simple de maintenir un système basé sur un barème. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
L'instabilité fiscale
Le bouclier fiscal fait un petit tour et puis s'en va.
Une fois de plus, la France fait honneur à sa réputation.
Si l'instabilité fiscale était admise comme épreuve des jeux olympiques, la France remporterait sans problème la médaille d'or.
Elle serait aussi favorite pour la créativité fiscale.
Nos politiciens sont les champions du monde, et la campagne pour les élections présidentielles a de quoi nous rassurer : le niveau de nos athlètes devrait se maintenir.