Il est regrettable que les juges d'instruction ne donnent pas l'exemple du respect du droit et appliquent un principe peu juridique selon lequel la fin justifie les moyens.
Si le juge pénal a un droit d'accès illimité aux dossiers des avocats fiscalistes, cela aboutit également à donner ce droit d'accès aux services fiscaux puisque les juges sont tenus d'informer l'administration fiscale des infractions fiscales qu'ils peuvent relever dans leurs enquêtes.
Compte tenu de ces pratiques, la question se pose de savoir si les avocats fiscalistes vont bientôt devoir recevoir leurs clients dans les jardins publics, après avoir semé une éventuelle filature de la police.
Il ne s'agit pas d'imposer un respect absolu du secret des correspondances et relations entre l'avocat et son client. Il est tout à fait normal qu'il y ait des exceptions au principe du secret.
Evidemment, dans le cas par exemple où il existe des indices sérieux de complicité de l'avocat dans la commission d'infractions, ce secret doit pouvoir être levé.
Mais il devrait s'agir d'exceptions, admises avec parcimonie, sous réserve d'indices très sérieux, avec une obligation de contrôle préalable d'un juge indépendant de la procédure et un droit de contestation des avocats concernés. Tel n'est pas le cas en France aujourd'hui, pays des droits de l'homme, où les juges d'instruction peuvent violer certains droits fondamentaux, en toute impunité. C'est le côté brutal et moyenâgeux du droit pénal français.
Mais une question peut se poser : qu'est-ce qui justifie le secret des correspondances entre l'avocat et son client ? Pourquoi les avocats sont-ils attachés à ce secret ?
Certains ont pu faire valoir que cet attachement n'était pas légitime. Si les avocats sont attachés à ce secret, ce serait dans leur seul intérêt. Ce secret leur permettrait notamment d'aider leurs clients à commettre des fraudes en toute impunité.
Ce n'est pas totalement faux.
Il peut arriver effectivement par exemple que des avocats fiscalistes peu scrupuleux (ils sont très peu nombreux), aident leur client à frauder le fisc.
Evidemment, je condamne ces pratiques et ce n'est pas cela la raison qui justifie la protection du secret des correspondances puisque c'est au contraire un cas où ce secret mérite d'être levé.
Certains font valoir également que seuls ceux qui ont des choses à se reprocher réclament le droit au secret.
En fait, si le secret doit être protégé, c'est parce qu'il s'agit une absolue nécessité du métier d'avocat et ce secret est utile à tous les citoyens.
La justification du secret nécessite d'expliquer et de justifier le rôle de l'avocat.
A quoi sert un avocat dans notre société ? Comment justifier son rôle, notamment dans les procédures pénales mais aussi dans les procédures fiscales ? Comment peut-il prétendre à la confidentialité des échanges avec son client ?
Je vais essayer de répondre avec l'exemple que je connais, celui de l'avocat fiscaliste, d'une part dans son rôle de conseil et d'autre part dans son rôle de défenseur des contribuables dans la procédure fiscale.
En fait, si nous vivions au pays des Bisounours, l'avocat serait parfaitement inutile.
Si la loi fiscale était claire, connue de tous et parfaitement compréhensible pour tous, l'avocat fiscaliste serait inutile.
Si les agents de l'administration fiscale étaient parfaitement compétents, d'une parfaite bonne foi et d'une rigueur morale absolue, l'avocat fiscaliste serait parfaitement inutile dans la procédure fiscale.
Mais, comme certains l'ont déjà appris à leurs dépens, nous ne vivons pas au pays des Bisounours.
La loi fiscale est très souvent incompréhensible. Certaines pratiques qui étaient auparavant parfaitement légales sont considérées, du jour au lendemain, comme des comportements quasi-frauduleux (voir par exemple la question de l'apport-cession dans le régime du sursis qui a été admise par le Comité des abus de droit avant qu'il change d'avis et la considère ensuite comme un abus de droit).
De même, je le constate tous les jours avec regret, les agents de l'administration fiscale ne sont pas toujours d'une très grande compétence et d'une grande honnêteté. Les agents des impôts font souvent des rappels basés sur des erreurs d'interprétation de la loi fiscale (ce qui est très regrettable). La mauvaise foi du vérificateur est fréquente (ce qui peut se justifier dans une certaine limite, voir ci-après).
Donc, dans ce contexte, l'avocat fiscaliste est très utile et son rôle est légitime.
Le conseil suppose le respect du secret
Il est utile d'abord en tant que conseil pour expliquer la loi fiscale aux contribuables.
Le cabinet d'un avocat fiscaliste est comme un confessionnal. L'avocat n'est pas là pour juger son client, il l'écoute et lui dit ce qui est bien et ce qui est mal. De nombreux clients ne savent pas que certains comportements sont illégaux ou juste discutables.
En plus, en matière fiscale, la frontière entre le bien et le mal est très large. Entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit, il y a souvent un espace considérable. La zone grise du droit fiscal est énorme et elle grandit tous les jours. Evidemment, l'administration fiscale a tendance à considérer que tout ce qui est gris est en fait noir. Si les agents des impôts, en ayant accès aux dossiers des contribuables chez leurs avocats fiscalistes, pouvaient connaître dans le détail, les comportements "gris" des contribuables, ce serait un moyen fabuleusement efficace de multiplier les rappels. L'administration n'hésite pas en effet à faire des rappels à chaque fois qu'il y a un doute, ce qui est évidemment un comportement très contestable.
Quand un avocat fiscaliste reçoit un contribuable, ce dernier doit donc pouvoir se confier à lui en toute liberté et sans redouter que ses déclarations, notées par l'avocat, puisse servir un jour à un juge d'instruction pour l'incriminer ou à un agent des impôts pour faire des rappels.
Je dois connaître dans le détail les comportements de mon client pour lui donner un conseil valide. En écoutant mes clients, je ne les encourage pas à frauder. Mais les clients ont besoin de moi pour comprendre si leurs pratiques sont régulières ou irrégulières, ou encore si elles se situent dans la zone grise.
La procédure fiscale suppose le respect du secret
L'administration fiscale étant souvent de mauvaise foi dans la procédure fiscale, l'avocat fiscaliste doit pouvoir défendre son client en gardant secret ses échanges avec lui.
Si l'administration fiscale pouvait écouter les conversations entre le client et son avocat, elle s'en servirait pour justifier ses rappels. Elle en ferait un usage malhonnête, par exemple en déformant les propos du client, en lui donnant un sens inexact.
De plus, pour contrer la mauvaise foi du vérificateur, le contribuable doit pouvoir disposer d'un allié intégralement acquis à sa cause, et souvent, lui-même, il faut bien le dire, d'une certaine mauvaise foi.
Au fond, le système de la procédure contradictoire suppose une certaine mauvaise foi. Chacun défend sa cause en faisant valoir ses arguments, au mieux de ses intérêts.
Ce système de l'opposition entre deux adversaires est encore ce qu'on a trouvé de mieux pour faire éclater la vérité. C'est vrai en matière fiscale, c'est vrai aussi en matière pénale et c'est au fond le principe retenue dans nos démocraties modernes, où la majorité et l'opposition s'affrontent, avec une certaine mauvaise foi.
Le secret est évidemment nécessaire au respect de ce principe de mauvaise foi.
En conclusion, il faut protéger le secret des correspondances entre l'avocat et son client pour protéger tous les citoyens et, en matière fiscale, tous les contribuables.
Alors messieurs les juges d'instruction, je vous en prie, ne violez pas ce secret trop facilement, n'abusez pas de votre droit d'enquête.
De manière plus générale, il est temps de réformer la procédure pénale, pour supprimer ce système obsolète basé sur un juge d'instruction soit disant impartial et le remplacer par le système anglo-saxon, plus honnête, mais qui suppose des procureurs indépendants du pouvoir politique.
Il faut en tout état de cause, instaurer un contrôle préalable, avec droit de recours, pour toute mesure d'instruction qui viole le secret de correspondance entre l'avocat et son client.