Imaginez un plombier polonais qui travaille à la fois en Pologne et en France à travers une société. Tous ses revenus, y-compris français, sont déclarés et imposés en Pologne.
Dans certains cas très particuliers, il doit déclarer une activité en France car il y développe un établissement stable. Dans cette situation, l'activité française est seulement imposable en France.
Mais la notion d'établissement stable est difficile à définir. En pratique, il y a de nombreux cas litigieux et incertains.
Or lorsque les services fiscaux procèdent au contrôle d'une société étrangère qui n'a pas déclaré d'établissement stable en France alors que, selon eux, elle devait le faire, ils appliquent un régime particulièrement punitif, celui de l'activité occulte.
En effet, dans la réglementation fiscale, le développement d'une activité occulte est très sévèrement condamné.
L'activité occulte est celle pour laquelle le contribuable n'a déposé dans le délai légal aucune déclaration fiscale au titre de son activité et soit n'a pas fait connaître cette activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite.
La qualification d'activité occulte entraine plusieurs conséquences sur le plan fiscal telles que :
- l'allongement du droit de reprise jusqu'à la fin de la dixième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due ;
- une majoration des rappels de 80 % ;
- la mise en œuvre de la procédure de taxation d'office, sans mise en demeure préalable.
Revenons à notre plombier polonais.
En cas de contrôle, fiscal, l'administration lui applique le régime de l'activité occulte.
En pratique, cela permet aux services fiscaux de le redresser sur 10 années d'activité, en déterminant de façon forfaitaire son résultat imposable sans discussion possible, et en majorant les droits dus d'une pénalité de 80 % !
Et tout cela pour des revenus qui ont déjà été déclarés en Pologne.
L'administration considère qu'elle est en droit d'appliquer le régime de l'activité occulte au seul motif de l'absence de déclaration de l'activité.
Ma position
Selon moi, le champ d'application de l'activité occulte doit être interprété restrictivement, s'agissant d'une disposition instituant une sanction exceptionnellement lourde et quasi pénale, du même niveau que la pénalité qui sanctionne les manœuvres frauduleuses.
La réglementation visant les activités occultes n'a pas pour objet de sanctionner les irrégularités commises par les contribuables en matière de territorialité de l'impôt.
L'administration a d'ailleurs indiqué dans sa doctrine :
"Compte tenu de l'intention du législateur qui est de n'opposer le délai spécial qu'aux activités réellement clandestines, il est également précisé que ce délai ne peut s'appliquer, s'agissant d'une activité déterminée, à un impôt donné pour lequel le contribuable est défaillant lorsque celui-ci a souscrit, dans les délais, des déclarations au titre d'autres impôts concernant cette même activité. (BOI-CF-PGR-10-70-20120912).
L'administration précise :
"Dans l'hypothèse où le contribuable a effectué la déclaration auprès d'un centre différent de celui dont il relevait (incompétent territorialement ou ratione materiae), le délai spécial ne s'applique pas (…) Dans ce cas, en effet, l'activité exercée n'est pas occulte puisque l'établissement principal donne lieu à une déclaration fiscale. La situation s'analyse en une insuffisance de déclaration. (BOI-CF-PGR-10-70-20120912 numéro 20 et 30).
Ainsi, il n'y a pas lieu selon moi d'interpréter les règles en matière de lutte contre les activités occultes de telle sorte qu'elles permettraient de sanctionner lourdement une personne qui aurait déclaré par erreur son activité dans un autre pays de la Communauté Européenne, sauf à porter gravement atteinte au principe communautaire de liberté d'établissement et de liberté de prestation de services.
Si une personne se trompe de greffe au moment de l'immatriculation de son activité, peut-elle être poursuivie au titre d'une activité occulte ? Non évidemment.
Le régime de l'activité occulte s'applique-t-il à une société étrangère qui est considérée comme ayant omis de déclarer l'existence d'un établissement stable en FRANCE ? Non selon moi dès lors que l'activité de cette société est déclarée dans son Etat d'origine.
Il y a lieu de tenir compte de l'intention du législateur "qui est de n'opposer le délai spécial qu'aux activités réellement clandestines ou illicites"(BOI-CF-PGR-10-70-20120912 n° 80).
La sanction pour activité occulte n'a pas été prévue pour sanctionner un contribuable qui aurait commis une erreur d'interprétation des règles fiscales en matière de territorialité.
Bien sûr, il faut réserver le cas de la fraude, c’est-à-dire le cas d'une société polonaise qui ne pouvait ignorer qu'elle avait un établissement stable en France et qu'elle devait y déclarer ses résultats français.
Tel n'est pas le cas selon moi si, au cas particulier, la qualification d'établissement stable n'était pas évidente.
La position du Conseil d'Etat
Sur cette question, le Conseil d'Etat s'est prononcé par un arrêt du 7 décembre 2015 (n° 368227).
Il a indiqué :
" (…) l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives.
S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un Etat autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte tant du niveau d'imposition dans cet autre Etat que des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux Etats.
En jugeant en l'espèce que la notion d'activité occulte au sens de l'article 1728, 1-c du CGI ne s'appliquait qu'à des agissements intentionnellement dissimulés par le contribuable et qu'il appartenait à l'administration de vérifier si le comportement de celui-ci révélait son intention de dissimuler son activité, au lieu de rechercher si l'intéressé était en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit."
La position du Conseil d'Etat est positive dans la mesure où il reconnait que le régime de l'activité occulte n'est pas automatique.
L'entreprise peut éviter cette sanction si elle démontre qu'elle a commis une erreur. Autrement dit que le défaut de déclaration a été fait de bonne foi. Mais le concept est flou.
Notons, au passage, le raisonnement jésuitique du juge. Il commence par dire que c'est à l'administration de prouver l'activité occulte, pour dire finalement que c'est au contribuable de prouver qu'il a commis une erreur. Il serait plus juste de dire que, en cas de défaut de déclaration, la charge de la preuve est sur la tête du contribuable qui doit démontrer qu'il a commis une erreur.
Il me paraît justement très contestable de faire peser la charge de la preuve sur la tête de l'incriminé, dans une situation de quasi délit pénal.
Pour les entreprises étrangères, le Conseil d'Etat rajoute "la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte tant du niveau d'imposition dans cet autre Etat que des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux Etats".
La question qui se pose est de savoir si ces deux faits doivent être considérés comme des conditions cumulatives ou alternatives, ou encore comme de simples indices.
En pratique, il y a maintenant presque systématiquement un régime d'échange d'information (sauf quelques paradis fiscaux très peu nombreux). Donc si les conditions sont alternatives, l'activité occulte ne devrait presque jamais s'appliquer aux sociétés étrangères puisque cette condition est toujours remplie.
Mais si les conditions sont cumulatives, il faut également que le taux de l'impôt soit au moins égal à l'étranger. Et alors, le risque est très élevé que le régime de l'activité occulte soit très souvent appliqué car l'impôt est souvent inférieur à l'étranger. C'est le cas en Pologne.
Selon moi la position du Conseil d'Etat est contestable.
Il omet de prendre en compte un point très important qui est le caractère particulièrement obscur du droit fiscal international.
Dans de nombreux cas, il est très difficile de savoir si une entreprise étrangère dispose ou non d'un établissement stable.
Dans le cas des entreprises polonaises du bâtiment, il faut vérifier que l'entreprise réalise un chantier de moins de 18 mois. Si le chantier dépasse 18 mois, il y a un établissement stable.
En pratique, la notion de chantier donne lieu à nombreux débats, notamment en cas de chantiers successifs.
Selon moi, la complexité de la notion d'établissement stable peut expliquer l'erreur légitime de l'entreprise.
Le Conseil d'Etat devrait rajouter un autre cas où l'erreur est vraisemblable, c'est quand la loi fiscale est incertaine.
Cette décision du Conseil d'Etat ne clôt pas le débat car, dans ce dossier, l'entreprise n'avait pas soulevé l'argument du droit européen.
Or, selon moi, la définition actuelle de l'activité occulte et ses conséquences, telle que précisée par le Conseil d'Etat, est directement contraire au principe de la liberté d'établissement au sens du droit européen.
Seul le cas de la fraude peut justifier l'application de mesures discriminatoires contre les entreprises de l'Union Européenne.
La suite au prochain épisode.
En tout cas, toute entreprise étrangère qui fait du chiffre d'affaires en France doit faire très attention et consulter préalablement un avocat fiscaliste compétent sur ces sujets. Moi par exemple.