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Contrôle fiscal

Démêlez les noeuds de la fiscalité
lundi, 25 juillet 2016 15:21

L'amende proportionnelle de 5 % pour non-déclaration d'un compte étranger est inconstitutionnelle

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Présentation de la décision

 

Une personne qui omet de déclarer un compte bancaire étranger risque une amende.

Cette amende s'élève au moins à 1 500 € si le pays étranger est collaboratif et 10 000 € si le pays étranger n'est pas collaboratif (Botswana, Brunei, Guatemala, Îles Marshall, Nauru, Niue et Panama). En outre, si le total des montants figurant sur les comptes non déclarés est supérieur à 50 000 €, alors l'amende est égale à 5 % du solde créditeur de ce compte, sans pouvoir être inférieure aux précédents montants.

Le délai de reprise est de 5 ans donc pour un compte à valeur stable, le total de l'amende peut s'élever à 25 % du solde du compte.

 

Le montant de cette amende a fait l'objet d'une longue évolution dont la dernière date de la décision du Conseil Constitutionnel du 22 juillet 2016.

Par la loi du 30 décembre 2008, l'amende de 750 € est portée à 1 500 ou 10 000 € par compte non déclaré.

Par la loi du 14 mars 2012, l'amende proportionnelle de 5 % est mise en place.

 

Certains ont alors fait valoir qu'une telle amende était contraire au principe constitutionnel d'individualisation et de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme.

En effet, il arrive que des personnes aient conservé une grande quantité de comptes étrangers avec des montants insignifiants. Or l'application de la loi aboutit à la mise en œuvre d'amendes délirantes.

Par exemple, une personne qui a eu dix comptes bancaires dans un pays non coopératif risque une amende de 100 000 € au total, même si le total des montants figurant sur ces comptes est de 100 €.

Cette position a été considérée comme présentant un caractère sérieux par le Conseil d'Etat dans sa décision n° 389143 du 17 juin 2015. Le Conseil d'Etat a donc décidé de saisir le Conseil Constitutionnel dans le cadre d'une QPC.

Le 17 septembre 2015, le Conseil Constitutionnel s'est prononcé dans sa décision n° 2015-481 QPC : il a estimé que l'amende fixe de 1 500 € ou 10 000 € n'est pas contraire à la Constitution.

Voir la première décision du Conseil Constitutionnel

Le 18 mai 2016, le Conseil d'Etat renvoie une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil Constitutionnel afin de savoir si l'article 1736 IV, al. 2 du CGI méconnait le principe constitutionnel d'égalité devant la loi pénale. En effet, le requérant estime que les mêmes faits sont susceptibles de donner lieu à l'application de sanctions différentes selon que la sanction est prononcée sur le fondement du code général des impôts ou du code monétaire et financier.

Le 22 juillet 2016, le Conseil Constitutionnel a déclaré l'amende proportionnelle de 5 % inconstitutionnelle non pas sur le fondement de l'adage "non bis in idem" mais en retenant l'argumentation mise en avant par le contribuable lors de la première QPC :

" En prévoyant une amende proportionnelle pour un simple manquement à une obligation déclarative, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'il a entendu réprimer. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les dispositions contestées, qui méconnaissent le principe de proportionnalité des peines, doivent être déclarées contraires à la Constitution."

Le Conseil Constitutionnel précise par ailleurs la prise d'effet de cette décision :

"la déclaration d'inconstitutionnalité du deuxième alinéa du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012 prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision. Elle est applicable aux amendes prononcées sur le fondement du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts avant la date de la décision du Conseil Constitutionnel et qui n'ont pas donné lieu à un jugement devenu définitif ou pour lesquelles une réclamation peut encore être formée."

Cette inconstitutionnalité ne s'oppose toutefois pas à ce que l'amende fixe de 1 500 ou 10 000 € prévue à l'alinéa 1 de l'article 1736 IV CGI s'applique.

Voir la dernière décision du Conseil constitutionnel

 

Analyse critique

 

Généralités

Le Conseil Constitutionnel change ici radicalement de position, même s'il est question dans cette décision de l'amende proportionnelle et non plus de l'amende fixe.

On comprend que le Conseil Constitutionnel s'est rendu compte de son erreur et a revu sa position afin de faire respecter le principe de proportionnalité des peines.

Pourtant c'est bien sur ce fondement que la première QPC avait été soulevée puis rejetée par le Conseil Constitutionnel.

Pourquoi alors une nouvelle QPC a-t-elle été acceptée par le Conseil d'Etat ?

La seconde QPC a été engagée sur le fondement de l'adage "non bis in idem" : le demandeur estimait que "les mêmes faits sont susceptibles de donner lieu à l'application de sanctions différentes selon que la sanction est prononcée sur le fondement du code général des impôts ou du code monétaire et financier."

Mais le Conseil Constitutionnel fonde sa décision sur le principe de proportionnalité des peines, principe fondamental du droit fiscal.

Cela confirme la thèse selon laquelle le Conseil Constitutionnel a souhaité corrigé son erreur.

J'approuve complètement la position du Conseil Constitutionnel.

Je ferais quand même un petite réserve : un compte bancaire non déclaré permet potentiellement d'éviter de payer les droits de donation ou de succession qui peuvent s'élèver à 60 %. Donc une amende globale représentant 25 % du compte au maximum ne paraît pas si élevée.

Il aurait fallu dès le départ réserver l'application de cette amende aux situations présentant des omissions fiscales déjà constatées (non-déclaration des revenus du compte) ou des indices forts de volonté d'omission (constitution du compte par son détenteur) et exclure l'application de l'amende aux autres cas.

Cette décision était  prévisible, même si elle n'était pas certaine.

Une fois de plus, l'Etat est condamné pour ses délires fiscaux.

C'est en effet l'Etat qui est à l'origine de ce type de texte et il serait judicieux que l'Etat français soit plus respectueux de l'Etat de droit et notamment de la Constitution.

Comment peut-on sanctionner des contribuables qui fraudent la loi loi fiscale quand l'Etat viole régulièrement la Constitution ?

 

La procédure de régularisation

Cette décision bouleverse totalement la procédure en cours de régularisation des comptes bancaires étrangers non déclarés.

Elle va priver l'Etat d'une ressource financière déjà budgétée. Je ne connais pas les chiffres exacts mais à mon avis cela représente environ 30 % du total des régularisations soit plusieurs milliards d'euros sur plusieurs années (recette totale prévue pour 2016 : 2,4 milliards). Qui va payer la différence ?

C'est d'autant plus gênant pour les pouvoirs publics qu'ils avaient fait beaucoup de communication sur cette procédure.

Il est vraisemblable que les conditions de régularisation soient bientôt modifiées pour durcir ces conditions sachant que l'amende ne peut plus s'appliquer.

Le ministre avait déjà annoncé un durcissement des conditions de régularisation et même une fermeture de la procédure en 2018, ce qui était selon moi une grosse bêtise car il y aura encore besoin longtemps d'une procédure de régularisation pour les comptes étrangers, même si les conditions changent.

La remise partielle de l'amende (de 5 % à 1,5 % ou 3 % sur 4 ans) était un argument important pour encourager la régularisation "spontanée" puisque l'amende totale représente soit 6 % du compte soit 12 % (en supposant que le compte est stable sur la période).

 

Je propose de répondre à diverses questions qui peuvent se poser.

 

- Est-ce que la situation change pour ceux qui ont déjà régularisé en signant une transaction ?

En principe non car une transaction engage les parties de manière définitive.

En effet, le Conseil d'Etat dans un arrêt du 15 mai 1991 n° 76979 a énoncé : "le caractère définitif d'une transaction exécutée fait obstacle à la remise en cause, par voie contentieuse, d'impositions qui s'y trouvaient mentionnées."

Je ne pense pas que l'Etat rembourse ce qu'il a déjà encaissé. Il est vrai toutefois que la situation pourrait être considérée comme injuste car il est possible que ceux qui ont régularisé plus tôt (et déjà payé) paient beaucoup plus, à situation égale, que ceux qui ne régularisent que maintenant.

Mais cette injustice n'est pas le fait de l'Etat donc, selon moi, elle n'est pas tellement discutable, sauf dans les cas où l'amende représentait l'essentiel du coût de la régularisation, c'est à dire dans les cas où la seule réelle infraction fiscale était l'absence de déclaration du compte, sans imposition significative éludée.

 

Est-ce qu'une personne qui a déjà régularisé et payé peut contester en justice la transaction ?

Non car une transaction est définitive.

 

Est-ce que ceux qui ont déjà régularisé et qui ont déjà conclu la transaction et payé doivent-ils le regretter ? N'aurait-il pas été plus judicieux de ne rien faire et d'attendre de se faire prendre ?

La question peut effectivement se poser. La circulaire CAZENEUVE permettait principalement de réduire l'amende.  

La différence entre le contribuable actif et passif, c'était principalement l'amende réduite de moitié (à 1,5 % par an an lieu de 3 %).

Une fois l'amende supprimée que reste-t-il de la circulaire ?

Une rémise des majorations de 40 % à 15 % pour les comptes passifs et à 30 % pour les comptes actifs (les services fiscaux n'ont pas à ce jour prétendu appliquer la majoration de 80 % des manoeuvres frauduleuses aux comptes étrangers non déclarés).

Mais cette remise de pénalités n'est pas toujours significative car il faut rappeler que c'est ici un taux appliqué à l'impôt dû (ISF, impôt sur le revenu et droits de succession).

Pour les régularisations de comptes passifs sans ISF et sans droits de succession, la remise partielle des majorations est sans intérêt significatif car les revenus des comptes sont faibles.

La régularisation permet d'éviter le risque de l'application de la taxation de 60 % si l'origine des fonds ne peut être prouvée (mais selon moi cette taxe est d'une constitutionnalité très douteuse).

La circulaire permet aussi de se protéger d'une action pénale et pour les gros comptes ce risque n'est pas théorique. Pour les petits comptes, c'est moins flagrant, c'était surtout un moyen de réduire les insomnies.

D'ailleurs une autre décision du Conseil Constitutionnel a réservé les poursuites pénales aux cas les plus graves de dissimumations frauduleuses (24 juin 2016 n° 2016-545). Or, selon moi, sauf dans certains cas de comptes (très) actifs, la détention d'un compte étranger non déclaré n'est pas un cas grave de dissimulation frauduleuse. Donc il n'y aurait plus de risque de poursuite pénale.

Il faut aussi rappeler que la régularisation a permis de rapatrier les fonds.

 

Quelle sera la situation de ceux qui ont signalé leur compte mais dont le dossier n'a pas encore été traité ou qui n'ont pas encore signé leur transaction ?

Si aucune transaction n'a encore été signée, mais que le compte a été signalé par le contribuable, alors il apparait vraisemblable que la transaction sera revue.

Ces contribuables devraient donc pouvoir bénéficier de la circulaire Cazeneuve, mais sans la pénalité de 5 %.

Ils seraient les grands gagnants de la décision du Conseil Constitutionnel.

Pour ces contribuables, l'Etat pourrait essayer d'appliquer un durcissement rétroactif de la circulaire en faisant valoir que la circulaire prévoyait l'application de la pénalité de 5%.

Selon moi un tel durcissement rétroactif, même justifié sur le plan financier, serait très contestable en équité et serait une forme de remise en cause de la parole de l'Etat.

Il est également possible que les agents des impôts essayent de faire une application durcie de la circulaire CAZENEUVE.

En effet, sur certains points, le STDR avait élaboré une doctrine générale de traitement des dossiers. Cette doctrine, dans certains cas, peut être considérée comme plutôt favorable.

Les services fiscaux pourraient revenir sur les solutions favorables de cette doctrine et appliquer désormais une interprétation durcie de la circulaire CAZENEUVE. Selon moi ce serait très critiquable et cela constiturait, là encore, une remise en cause de la parole de l'Etat.

 

Quelle sont les conditions de régularisation pour les contribuables qui vont signaler leur compte dans l'avenir ?

Tant que la circulaire n'a pas été modifiée officiellement, à mon avis ces contribuables en bénéficient encore (sans application de l'amende de 5 %), mais il est vraisemblable que, dans les jours qui viennent, l'administration publie une nouvelle circulaire qui durcisse fortement les conditions de régularisation.

 

Mon conseil perso à ceux qui n'ont pas encore régularisé : régulariser maintenant pour profiter encore de la circulaire Cazeneuve tant qu'elle est encore en vigueur. Ce sont donc les derniers jours des soldes fiscales.

Mon conseil perso à Bercy (on ne sait jamais) : faites très vite une nouvelle circulaire. Pour le passé, respectez la parole de l'Etat. Pour l'avenir, faites une distinction entre les petits comptes et les gros comptes. Il faudrait exclure les petits comptes (moins de 100 K€) de la procédure du STDR et les exclure des délais de prescription rallongés. L'échange automatique de renseignements risque en effet d'aboutir à un afflux massif de dossiers de régularisation de petits comptes. Pour les gros comptes, il faut maintenir la procédure du STDR car elle seule permet une gestion (à peu près) égale des dossiers.  J'en profite pour dire que le STDR a fait du bon travail.

 

L'amende peut-elle être rétablie par une nouvelle loi ?

Oui mais seulement pour l'avenir. L'amende ne peut pas être rétablie rétroactivement. 

Pour l'avenir, il est très vraisemblable qu'une nouvelle amende soit rétablie. Cette amende ne sera applicable que pour les contribuables qui n'ont pas rempli leurs obligations fiscales et qui ont donc éludé un impôt du fait de l'existence du compte, par exemple en omettant de déclarer les revenus du compte.

 

Cette décision du Conseil Constitutionnel peut-elle s'appliquer à la taxe de 60 % ?

Rappelons que toutes les sommes figurant sur les comptes non déclarés peuvent être taxées à 60 % si le contribuable ne peut pas prouver l'origine des fonds. C'est très fréquent dans de nombreux dossiers.

Cette taxe peut servir aux services fiscaux pour taxer les contribuables qui n'ont pas déclaré leur compte étranger.

Mais selon moi, cette taxation est excessive et sa constitutionnalité très douteuse.

Mais rien ne permet de garantir qu'elle sera un jour annulée par le Conseil Constitutionnel.

Il serait souhaitable qu'il y ait une révision générale du régime des pénalités, majorations et autres amende fiscales, en supprimant les pénalités excessives, en définissant plus strictement les cas d'application quand elles sont très élevées, en donnant le droit aux services fiscaux et au juge de les réduire pour tenir compte des cas particuliers.

En tant qu'avocat fiscaliste, je ne soutiens pas la fraude et il a pu m'arriver de penser que, pour certains clients, les pénalités étaient trop faibles, mais j'ai trop souvent constaté le caractère inique de l'application de certaines pénalités et de certaines taxation d'office. Certaines erreurs fiscales peuvent avoir un coût totalement disproportionné par rapport aux montants des impôts éludés.

 

Dernière remarque générale

Avec la QPC, le Conseil Constitutionnel est devenu le principal juge fiscal. Ce que j'avais prévu est arrivé, la QPC est une bombe atomique qui a fait exploser le droit fiscal. Et ce n'est pas fini. Et c'est tant mieux.

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