Violation du principe de non-rétroactivité des lois pénales
Le principe de non-rétroactivité des lois pénales
La Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen prévoit dans son article 8 :
"La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée."
La non-rétroactivité des lois pénales est une exigence constitutionnelle (Cons. const. déc. n° 82-155 DC du 30 décembre 1982).
La taxe de 60 % a la nature d'une sanction
La taxe de 60 % peut être considérée comme étant en fait une forme de sanction pour plusieurs raisons.
La sanction se distingue de la réparation pécuniaire en ce qu'elle tend à empêcher la réitération des agissements visés.
Le taux très élevé de cette taxe a un caractère dissuasif pour le contribuable
Par ailleurs, lorsque le fait générateur d'un impôt est le non-respect d'une obligation préexistante, qu'elle qu'en soit la nature, cet impôt doit être qualifié de sanction.
Au cas paticulier, le taux est effectivement dissuasif et il vise à sanctionner la non-déclaration d'un compte.
La taxe de 60 % est individualisée. Seule la personne ayant commis l'infraction peut se voir appliquer une sanction.
La lecture littérale de l'article L23 C du Livre des procédures fiscales permet de conclure que la demande doit s’adresser en effet seulement à la personne physique soumise à l’obligation de déclaration du compte.
En pratique, seule la personne physique qui a ouvert un compte bancaire à l'étranger, à y déposer des fonds et ne l'a pas déclaré, peut être interrogée sur l'origine des fonds.
La taxe de 60 % n'est pas calculée en fonction d'une omission fiscale mais en fonction du montant du compte non déclaré, et même du montant le plus élevé au cours des dix dernières années, sans tenir compte des éventuels apports parfaitement justifiés.
La taxe de 60 % est une sanction rétroactive
La nouvelle date a été instituée fin 2012 et s'applique même aux personnes qui auraient omis de déclarer leur compte précédemment.
Avant cette date, les contribuables qui n'étaient pas en mesure de justifier de l'origine de leurs avoirs étrangers non déclarés n'étaient pas sanctionnés par cette taxe.
C'est donc une sanction rétroactive inconstitutionnelle.
Violation du principe d'égalité devant les charges publiques avec l'instauration d'une preuve impossible
Les règles constitutionnelles
La Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen prévoit dans son article 13 :
"Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés."
En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose (décision 2017-689 QPC). Cette appréciation ne doit pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
L'objectif du législateur était d'instaurer une présomption simple
L'article 755 du code général des impôts prévoit une présomption simple : jusqu'à preuve du contraire, les avoirs bancaires étrangers non déclarés seraient un patrimoine acquis à titre gratuit et devraient donc être taxés à hauteur de 60 % comme s'ils provenaient de la donation d'un tiers et de non de parents.
Le but du législateur était donc d'établir une présomption simple, et non une présomption irréfragable de l'origine des avoirs. Il a donc entendu permettre au contribuable de rapporter la preuve de l'origine de ses avoirs bancaires non déclarés.
Or, en pratique, dans de nombreux cas, il est quasiment impossible d'apporter la preuve de l'origine des avoirs étrangers non déclarés.
En imposant au contribuable de justifier de l'origine de ses avoirs étrangers non déclarés depuis la création du compte, et sans tenir compte du délai de conservation des documents bancaires imposé aux banques et conseillé au contribuable, le législateur met le contribuable face à une preuve impossible à fournir.
Il viole l'esprit du texte en transformant la présomption simple en présomption irréfragable.
Le contribuable peut être amené à justifier des apports effectués très longtemps auparavant, bien plus de dix ans auparavant.
Les banques ne sont tenues de conserver les archives comptables concernant leur clientèle que pendant une durée maximale de 10 ans. Cette règle vaut tant pour les banques françaises que pour la plupart des banques européennes.
Pour les particuliers, le délai de conservation des relevés bancaires préconisé est de 5 ans (https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F19134).
En tout état de cause, même en ayant conservé les archives bancaires, il peut s'avérer très difficile pour un particulier de prouver l'origine des fonds venant créditer son compte bancaire.
Le législateur ne s'est pas fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction du but visé.
Prenons l'exemple d'un américain devenu résident fiscal français.
Ce contribuable ouvre en 1980 un compte aux Etats-Unis alors qu'il est résident fiscal américain.
Il alimente son compte bancaire de différentes façons.
Il y perçoit ses revenus, des cadeaux d'usage, l'héritage de ses parents, …
Plus de 20 ans après, en 2004, il décide de s'installer en France et devient résident fiscal français.
En 2010, il oublie de déclarer son compte américain.
En 2013, l'administration fiscale lui demande de justifier l'origine des avoirs figurant sur son compte américain.
Ce contribuable ne peut évidemment pas apporter la preuve de l'origine des fonds qu'il a accumulés sur son compte depuis plus 30 ans.
L'administration fiscale peut pourtant lui imposer, sous peine de lui appliquer la taxe de 60 %, de justifier de l'origine de fonds accumulés sur son compte pendant plus de 30 ans et ce alors même qu'il a ouvert son compte alors qu'il n'était pas résident fiscal français et que les fonds n'ont pas une origine française.
La preuve réclamée par l'administration fiscale est impossible à rapporter.
Cette preuve serait tout autant impossible à rapporter dans de nombreux cas pour un contribuable français.
Prenons l'exemple d'un contribuable français qui aurait ouvert un compte en Suisse en 1985.
Ce contribuable hérite en France de ses parents d'une importante somme d'argent en 1982.
Il s'acquitte en France des droits de succession sur cette somme.
Cette somme est virée sur son compte français. Elle se confond donc avec les sommes qui figuraient déjà son sur ce compte et qui avaient des origines diverses (revenus, dons d'usage, …).
En 1985, il décide d'ouvrir un compte en Suisse.
Il effectue un important retrait de liquidités sur son compte bancaire français et les dépose sur son compte suisse.
En 1985 et 1989, il effectue quelques apports complémentaires sur son compte suisse.
En 2014, il oublie de déclarer son compte suisse.
L'administration fiscale lui impose de justifier l'origine des fonds figurant sur son compte suisse.
L'intégralité des fonds a été déposée alors même que l'obligation de déclarer un compte bancaire étranger n'existait pas.
Ce contribuable est dans l'incapacité de justifier de l'origine des fonds.
Se basant sur l'hypothèse l'article 755 du Code général des impôts, l'administration fiscale considère que ces fonds dont l'origine n'a pas pu être justifiée proviennent d'un patrimoine acquis à titre gratuit et le taxe à hauteur de 60 % de ses avoirs.
Il va devoir s'acquitter d'une taxe de 60 % de ses avoirs suisses alors même qu'il a déjà payé des droits de succession en France, que la succession serait prescrite et qu'il n'a commis aucune infraction au regard des droits de mutation.
L'article 755 du code général des impôts méconnait donc le principe d'égalité devant les charges publiques.
Violation du principe de territorialité
La France n'a jamais prétendu imposer ses citoyens sur la base de leurs revenus mondiaux ou des transmissions reçues dans le monde, sans tenir compte de la résidence.
En France, les impôts ne s'appliquent que sous réserve des règles de territorialité.
C'est ainsi qu'un revenu perçu pendant une période de résidence fiscale étrangère n'est pas taxable en France, sauf s'il est de source française.
De même une donation reçue par un résident fiscal étranger d'un autre résident fiscal étranger n'est pas taxable en France, sauf s'il s'agit d'un bien situé en France.
Or la taxe de 60 % permet de facto de déroger à ce principe de territorialité.
Dans l'exemple précité du citoyen américain qui s'installe en France et qui oublie de déclarer ses comptes bancaires américains, la taxe de 60 % devient un moyen de taxer un résident étranger sur des revenus ou des mutations de source étrangère et versées à un résident étranger.
Violation du principe de nécessité et de proportionnalité des peines
Les règles constitutionnelles
La Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen prévoit dans son article 8 :
"La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée."
La violation de la règle constitutionnelle
L'assiette de la taxe n'est pas proportionnelle au préjudice subi par l'Etat.
La taxe prévue par l'article 755 du code général des impôts a pour assiette "la valeur la plus élevée connue de l'administration des avoirs figurant sur le compte ou le contrat d'assurance-vie au cours des dix années précédant l'envoi de la demande d'informations ou de justifications".
Cette assiette qui se base sur la valeur des avoirs et non sur la valeur cumulée des apports intervenus durant la période non prescrite n'est pas proportionnelle au montant du préjudice subi par l'Etat du seul fait de la non-déclaration du compte étranger.
L'assiette de la taxe repose sur une hypothèse exceptionnelle.
L'assiette de la taxe repose sur l'hypothèse selon laquelle l'intégralité des avoirs étrangers non déclarés et dont l'origine n'a pas pu être justifiée proviendrait d'une mutation à titre gratuit, entre vifs ou pour cause de décès, entre non-parents.
Cette hypothèse, particulièrement favorable à l'administration fiscale puisqu'elle instaure un taux de taxation très élevé, est toutefois un cas exceptionnel.
Il est beaucoup plus vraisemblable qu'un patrimoine ait été constitué sur la base de l'épargne du contribuable et de l'éventuel héritage, don ou legs reçu de ses parents que d'une donation effectuée par un illustre inconnu ou un parent très éloigné (au-delà du 4ème degré).
Par ailleurs, il convient de rappeler que, en principe, les dons manuels effectués par des tiers sont exonérés de droit de donation.
Les dons manuels ne sont susceptibles d'être soumis aux droits de donation que dans les situations suivantes :
- lorsqu'ils sont déclarés par le donataire (ou ses représentants) dans un acte soumis à l'enregistrement, quelle que soit sa nature,
- lorsqu'ils font l'objet d'une reconnaissance judiciaire,
- lorsqu'ils sont révélés par le donataire à l'administration fiscale soit spontanément, soit en réponse à une demande de l'administration, soit encore au cours d'une procédure de contrôle ou d'une procédure contentieuse.
Donc, si une personne a bénéficié d'un don manuel d'un tiers, elle ne peut en principe être taxée sur cette transmission que dans certains cas particuliers.
Ainsi si un compte bancaire a été constitué suite au don manuel d'un tiers par virement sur le compte, en principe aucune taxation n'est due au titre des droits de mutation.
La taxe est manifestement disproportionnée par rapport à la gravité des faits.
La taxe s'applique à tous les contribuables qui n'ont pas été en mesure de prouver l'origine de leurs avoirs étrangers non déclarés alors même que ces avoirs ne proviendraient pas d'une mutation à titre gratuit taxable, entre vifs ou pour cause de décès, entre non-parents ou entre parents au-delà du 4ème degré et alors même que ces avoirs n'auraient pas été soustraits frauduleusement à l'impôt.
Cette sanction est disproportionnée par rapport au but recherché.
Le juge ne dispose pas de la possibilité de moduler le taux de la taxe
Le Conseil constitutionnel a déjà jugé qu'une sanction pénale doit pouvoir faire l'objet d'une modulation à la baisse (Cons. const. 23-11-2018 n° 2018-746 QPC : RJF 2/19 n° 185).
Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que l'amende de 25 % pour non-déclaration des transferts de fonds n'est pas disproportionnée à la gravité de l'infraction parce qu'elle constitue un taux maximal qui peut être réduit par le juge.
Or la taxe de 60 % ne peut pas être réduite par un juge. Une modulation serait illégale.
C'est encore un autre motif d'inconstitutionnalité.
Il importe peu que les services fiscaux en fassent en pratique une application mesurée, réservée seulement à certains contribuables particulièrement récalcitrants. D'une certaine manière d'ailleurs, l'usage mesuré de cette taxe par les services fiscaux vient confirmer sa véritable nature : celle d'une sanction inconstitutionnelle.
Tous les contribuables qui font l'objet d'une telle taxation doivent envisager de la contester devant les tribunaux, dans l'attente d'une décision du Conseil Constitutionnel. Rappelons en effet que seuls les contribuable ayant déjà engagé un contentieux pourront bénéficier d'une décision d'abrogation du Conseil Constitutionnel.