L 64 B
"La procédure définie à l'article L. 64 n'est pas applicable lorsqu'un contribuable, préalablement à la conclusion d'un ou plusieurs actes, a consulté par écrit l'administration centrale en lui fournissant tous éléments utiles pour apprécier la portée véritable de cette opération et que l'administration n'a pas répondu dans un délai de six mois à compter de la demande."
Définition générale
Dans certains cas, l'administration fiscale peut remettre en cause un schéma en faisant valoir qu'il s'agit d'un abus de droit.
L'abus de droit est sanctionné par le rétablissement de l'impôt éludé majoré des pénalités de retard (4,8 % par an) et par l'application d'une pénalité spéciale égale à 80 % des droits rappelés.
L'administration fait valoir que le schéma permet une économie d'impôt anormale.
En principe, il est relativement difficile pour l'administration de démontrer l'existence d'un abus de droit, sauf dans les cas de fraude grossière.
En pratique, l'administration, et même les juges, ont tendance à interpréter extensivement la notion d'abus de droit et notamment à confondre les deux cas en faisant valoir à la fois le motif exclusivement fiscal et l'absence de réalité juridique des opérations et des structures.
Un concept complexe et évolutif
Le concept d'abus de droit est complexe, vague et évolutif.
Chaque fiscaliste a sa propre définition.
Les juridictions (Conseil d'Etat, Cour de cassation, Cour de Justice de la Communauté Européenne) peuvent avoir des définitions divergentes.
Le Comité de l'abus de droit fiscal (CADF), ex Comité Consultatif pour la Répression des Abus de Droit (CCRAD) retient aussi des définitions propres.
L'administration a ses propres définitions.
La réglementation est fréquemment modifiée.
En pratique, les vérificateurs profitent du caractère incertain de la définition de l'abus de droit pour motiver des rappels contestables et se servir de la pénalité de 80 % comme moyen de pression et de négociation.
La complexité de la notion est donc une source d'arbitraire et d'incertitude.
La dernière réforme a toutefois eu le mérite de donner une définition légale claire qui distingue les deux types d'abus de droit.
Ces deux cas d'abus de droit fiscal ne sont que la reprise de deux concepts existant déjà dans le droit général : la simulation et la fraude à la loi.
Les actes à caractère fictif
La notion d'acte fictif au sens de la législation fiscale de l'abus de droit renvoie en fait à la notion civile de simulation.
Il s'agit d'un acte qui dissimule une réalité économique différente. Cela suppose une volonté de dissimulation démontrée par le décalage entre l'apparence de l'acte et sa réalité.
L'administration doit démontrer l'existence d'une simulation par un faisceau d'indices.
Il existe trois types de simulation :
- L'acte fictif stricto sensu où une composante de l'opération fait défaut, par exemple un bail dont le loyer n'est jamais payé.
- L'acte déguisé c'est-à-dire un acte auquel on donne une autre qualification juridique artificielle ; par exemple une vente dont le prix n'est pas vraiment payé et qui s'analyse plutôt comme une donation déguisée.
- L'interposition de personne c'est-à-dire un acte réalisé par l'intermédiaire d'un prête-nom, par exemple un marchand de biens qui fait racheter un immeuble par une société qu'il contrôle, en vue de respecter l'obligation de revendre dans le délai de 4 ans.
La fraude à la loi
La nouvelle définition légale modernise définit le concept de fraude à la loi telle qu'il est généralement défini dans le droit commun.
Les nouveaux critères légaux constitutifs sont les suivants :
- recherche le bénéfice d'une application littérale du texte à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs,
- motif exclusif d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales.
S'agissant du motif exclusivement fiscal, certains auteurs estiment qu'il y a abus de droit même si le schéma présente un intérêt autre que fiscal dans la mesure où tout permet de penser que le but réel du schéma est purement fiscal.
Autrement dit, peu importe que le schéma ait objectivement un effet non fiscal (critère objectif) du moment qu'il peut être présumé que l'intention des parties (critère subjectif) était seulement de profiter d'un avantage fiscal.
En principe, il ne peut être reproché à un contribuable de chercher à réduire son imposition, notamment en choisissant, entre deux possibilités légales, la moins coûteuse sur le plan fiscal. Encore faut-il que son choix ne soit pas considéré comme un procédé contraire à l'esprit du texte de la réglementation fiscale, un détournement abusif de ses dispositions. Il existe une part de subjectivité sur l'appréciation de la notion du détournement abusif contraire à l'esprit de la loi.
La seule recherche d'une réduction de l'imposition suffit à caractériser le motif exclusivement fiscal. Ainsi les schémas visés ne sont pas seulement ceux qui permettent de supprimer toute imposition.
Un indice est souvent utilisé par l'administration et les juges, il s'agit du critère du montage purement artificiel. Plus un schéma est complexe, tortueux ou anormal, plus il est susceptible d'être qualifié d'abus de droit.
De plus, alors même que le schéma n'est pas stricto sensu une simulation, c'est à dire une fiction juridique, il sera plus facilement qualifié d'abus de droit s'il se trouve que les circonstances de sa création et les modalités de son fonctionnement sont révélatrices de l'existence d'une manoeuvre de dissimulation. En effet une telle manoeuvre tend à prouver l'existence du motif exclusivement fiscal.
Par ailleurs, l'absence de "substance" d'un schéma peut être prise en compte. Là encore, il s'agit de viser un schéma où, certes l'apparence juridique est sauve et permet d'éviter la qualification de simulation, mais où il existe une espèce de "fiction soft". Par exemple, une société dont les organes de direction se réunissent réellement dans les formes prévues par la réglementation n'est pas fictive, mais les procès-verbaux de ces organes de direction peuvent révéler l'absence de tout débat et de tout enjeu, signes que la société n'a aucune substance véritable et que le motif non fiscal invoqué est purement de façade.
Enfin, le caractère artificiel du schéma peut être révélé par certains critères objectifs comme la réalisation d'opérations dans des conditions inhabituelles. Par exemple, l'absence de délai significatif entre plusieurs opérations (un achat puis une revente ou un apport puis une vente) est un des indices principaux d'abus de droit.
L'abus de droit rampant
C'est un vice de procédure possible.
Lorsqu'elle invoque l'existence d'un abus de droit, l'administration est tenue de respecter la procédure spécifique prévue à l'article L 64 du LPF.
En particulier, elle est tenue de proposer au contribuable de demander l'avis du Comité de l'Abus de Droit Fiscal (CADF).
Si l'administration invoque la théorie de l'abus de droit en omettant de proposer la saisine du CADF, elle commet un vice de procédure.
En pratique, l'administration fiscale a souvent tendance à relever l'existence d'un montage artificiel ou d'une société fictive. Elle peut utiliser ces expressions dans la motivation de ces rappels. Mais l'utilisation de ces expressions, révélatrices de la qualification d'un abus de droit, ne suffit pas à faire constater un abus de droit implicite irrégulier.
La procédure n'est irrégulière que si l'utilisation de la théorie de l'abus de droit était effectivement le seul moyen juridique de remettre en cause le montage.
Mise en oeuvre et procédure
La pénalité de 80 %
L'article 1729 du CGI prévoit l'application d'une pénalité de 80 % en cas d'abus de droit.
Depuis la réforme de 2008, la majoration est ramenée à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire.
Un tel montant de pénalité, applicable à l'impôt éludé, est très dissuasif puisqu'il aboutit pratiquement à doubler le rappel.
Il paraît injuste de sanctionner un contribuable qui n'a pas su prévoir que ses agissements étaient constitutifs d'un abus de droit alors mêmes que les experts fiscaux les plus compétents ne pouvaient pas se prononcer avec certitude sur ce point.
En pratique, la pénalité de 80 % est très utile à l'administration.
Elle permet en effet à l'administration de faire accepter le rappel au contribuable en lui offrant en échange la remise partielle ou totale de la pénalité. Un tel chantage paraît abusif.
Le Comité de l'abus de droit fiscal
Si l'administration invoque l'existence d'un abus de droit, elle doit proposer au contribuable de saisir le Comité de l'abus de droit fiscal (CADF), ex Comité Consultatif de Répression des Abus de Droit (CCRAD).
Elle peut également choisir de saisir elle-même ce comité.
Il doit intervenir après la réponse aux observations du contribuable et avant la mise en recouvrement.
Les décisions du CADF ont un effet uniquement sur la charge de la preuve.
Si le CADF donne tort à l'administration et qu'elle maintient sa position, elle a la charge de la preuve en cas de contentieux.
Si le CADF donne raison à l'administration, c'est le contribuable qui a la charge de la preuve.
En fait, c'est un jeu de dupe pour le contribuable puisque, sans avis du CADF, l'administration a de toute façon la charge de la preuve.
Autrement dit, le contribuable n'a généralement aucun intérêt à saisir le CADF, puisque si le CADF lui donne tort il supporte la charge de la preuve qu'il n'aurait pas eu à subir s'il ne l'avait pas saisi, et si le CADF lui donne raison, l'administration a la charge de la preuve qu'elle aurait dû subir de toute façon sans l'avis du CADF.
C'est un jeu avec, "face je perds", et "pile je ne gagne rien".
En pratique, les contribuables saisissent donc très rarement le CADF.
Le seul cas où cela pourrait se concevoir, c'est quand il est pratiquement certain que l'administration invoque à tort l'abus de droit et que le CADF va la censurer. La saisine du CADF peut permettre alors au contribuable d'éviter le contentieux si l'administration suit l'avis du CADF.
Le fait que le CADF soit très souvent saisi par l'administration aboutit à un résultat pervers : il rend son avis généralement sur des cas d'abus de droit manifeste. Cela permet ensuite à l'administration de se servir des avis du CADF comme d'une jurisprudence favorable à ses thèses extensives.
La procédure devant le CADF a été modifiée par la réforme de 2008. Il semble qu'il soit admis dorénavant une procédure orale, en plus de l'échange des mémoires écrits.
Les avis du CADF sont souvent contestables et mal motivés, ce qui peut s'expliquer par le caractère discutable de sa composition.
La composition du Comité a été modifiée par la réforme de 2008.
Il y avait déjà :
- un conseiller d'Etat,
- un conseiller à la Cour de Cassation,
- un professeur agrégé de droit ou de sciences économiques,
- un conseiller maître à la Cour des Comptes.
Il y aura désormais en plus :
- un avocat fiscaliste,
- un notaire,
- un expert comptable.
Or on ne voit pas très bien ce qu'un professeur d'économie ou un membre de la Cour des comptes peut apporter dans la définition et la compréhension d'un mécanisme du droit fiscal.
Toutefois cette nouvelle composition peut permettre d'espérer une évolution positive du fonctionnement du comité et de ses décisions.
Le rescrit
L'article L 64 B du CGI prévoit que l'abus de droit n'est pas applicable lorsqu'un contribuable, préalablement à la conclusion d'un contrat ou d'une convention, a consulté par écrit l'Administration centrale en lui fournissant tous éléments utiles pour apprécier la portée véritable de cette opération et que l'administration n'a pas répondu dans un délai de 6 mois à compter de la demande.
Donc, avant de réaliser une opération, le contribuable peut interroger l'administration pour avoir son avis et si l'administration ne répond pas ou si elle répond en indiquant que le schéma n'est pas abusif, le contribuable est garanti qu'il ne fera pas l'objet d'un rappel.
En pratique, le rescrit est très peu utilisé par le contribuable pour deux raisons.
D'une part, il doit être demandé préalablement à l'opération, ce qui peut gêner fortement la mise en oeuvre des opérations.
D'autre part, l'administration retient une conception très extensive de l'abus de droit et les contribuables ont peu de chance, dans les cas douteux pour lesquels précisément la procédure de rescrit serait utile, d'obtenir un avis favorable des services fiscaux.
La pratique des services fiscaux
Il y a lieu de distinguer le risque théorique du risque pratique du rappel fondé sur l'abus de droit.
En effet, en pratique, les services fiscaux ont tendance à avoir une conception extensive de la notion d'abus de droit.
L'administration fiscale est particulièrement sensible à certains indices de l'abus de droit. Il en va ainsi notamment de l'absence de délai significatif entre plusieurs opérations.
Certains schémas ont ainsi pu être considérés comme étant des abus de droit par l'administration alors qu'ils n'en étaient pas réellement.
Sur un schéma, il faut distinguer le risque théorique du risque pratique.
Un schéma peut très bien ne pas être un abus de droit sur le plan théorique et présenter un risque important de rappel en cas de contrôle, compte tenu des pratiques relevées chez les services fiscaux.
Or les contribuables ne sont généralement pas prêts à engager une procédure contentieuse pour s'opposer aux positions mêmes excessives des services fiscaux.
Par exemple, l'administration est très sensible aux opérations réalisées dans un court délai alors qu'elle sera beaucoup moins vigilante sur des schémas intervenant sur plusieurs années.
Il faut parfois déconseiller un schéma si le risque pratique de rappel est très élevé.
Avant tout schéma incertain, il faut demander l'avis d'un avocat fiscaliste