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Contrôle fiscal

Démêlez les noeuds de la fiscalité
samedi, 06 avril 2013 13:27

Que va-t-il se passer pour Jérôme CAHUZAC ?

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Je propose d'essayer de s'intéresser à la situation fiscale de M. CAHUZAC, ancien ministre du budget et adapte inconditionnel de la lutte contre la fraude fiscale.

Que va-t-il se passer pour lui au plan fiscal, sachant que des règles particulièrement sévères s'appliquent aux contribuables qui ont omis de déclarer un compte étranger ?

L'ironie de l'histoire est bien sûr que certaines de ces règles ont été mises en place quand il était ministre du budget. Il va pouvoir lui-même en expérimenter l'efficacité et il va constituer un premier cas d'école pour la nouvelle taxe de 60 %. Le serpent se mord la queue.

Attention : je base mon analyse sur certains faits évoqués par la presse mais ces faits sont partiellement incertains et douteux. En conséquence mes conclusions restent purement hypothétiques. Je vais donc parler d'un Jérôme CAZUZAC théorique car le vrai CAHUZAC est encore présumé innocent et ce qu'il a avoué n'est pas très clair.

 

Les faits supposés (qui restent à confirmer)

Jérôme CAHUZAC a reconnu détenir un compte à l'étranger et dans lequel se trouvent environ 600 000 euros.

Ce compte aurait été ouvert en Suisse en 1992, puis transféré à Singapour en 2009. Aucun versement n'aurait été effectué depuis 2001.

Jérôme CAHUZAC aurait financé une partie de son appartement en puisant dans ce compte non déclaré.

Il a été mis en examen le 2 avril pour blanchiment de fraude fiscale, après avoir publié ses aveux sur son blog.

L'origine des fonds détenus sur ce compte demeure inconnue. Un des témoins, au cours de l'enquête préliminaire, a cependant déclaré qu'ils pourraient venir de laboratoires pharmaceutiques en rémunération de son activité de consultant.

Nous n'avons aucune information pour savoir si ce compte était rémunéré ou a donné lieu à des placements mais je suppose que c'est le cas.

Je suppose par ailleurs que M. CAHUZAC est assujetti à l'ISF.

M. CAHUZAC aurait annoncé qu'il allait bientôt rapatrier les fonds détenus sur ce compte.

 

Amende pour défaut de déclaration des comptes

Les règles relatives à l'amende pour non-déclaration des comptes étrangers et relatives aux délais de reprise sont assez complexes car ces règles ont été durcies ces dernières années, et en plus, à plusieurs reprises.

Or, comme en matière pénale, il faut appliquer le principe de non-rétroactivité de l'aggravation des peines. Donc les durcissements des sanctions et des délais de reprise ne s'appliquent que pour l'avenir. Les infractions antérieures aux nouveaux textes échappent nécessairement aux nouveaux textes. Mais comme les durcissements ont été successifs, les règles sont complexes.

En plus, les règles sont différentes selon le type de pays (coopératif ou non coopératif). Sachant que certains pays, comme la Suisse ou Singapour, ayant pu, récemment, passer d'un statut à l'autre, il faut leur appliquer, selon les années, soit les règles des pays non coopératifs, soit les règles des pays coopératifs.

De plus, certaines règles sont d'application incertaine, certaines questions peuvent se poser et plusieurs théories sont possibles.

Enfin, les services fiscaux, selon les agents et selon les cas, peuvent très bien ne pas retenir une application uniforme des règles, selon leur compréhension des textes. Ils peuvent aussi faire, selon l'expression consacrée, une "application mesurée de la loi fiscale", autrement-dit adapter la règle à leur appréciation de la gravité de l'infraction.

Bref, c'est le bordel, comme souvent en fiscalité, et c'est tant mieux pour les avocats fiscalistes.

Donc, premier conseil à Jérôme : consulter d'urgence un avocat fiscaliste (et pas nécessairement un ancien membre du GUD).

 

Règles applicables

L'article 1649 A du CGI impose aux contribuables de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos par eux à l'étranger.

C'est une déclaration annuelle, donc en cas de rappel, l'omission de chaque année peut donner lieu à une amende pour chaque année omise dans le délai de reprise. En plus, l'amende peut s'appliquer en théorie autant de fois qu'il y a de comptes non déclarés.

Depuis 2008, l'amende est égale à 1 500 euros par compte non déclaré. Cette amende est portée à 10 000 euros lorsque le compte est détenu dans un Etat ou territoire non coopératif.

La loi de finances rectificative pour 2012 du 14 mars 2012 a complété ce dispositif en prévoyant que, lorsque le total des soldes créditeurs du ou des comptes à l'étranger non déclarés est égal ou supérieur à 50 000 euros, l'amende s'élève à 5 % du solde créditeur de chaque compte non déclaré, sans pouvoir être inférieure aux montants de 1 500 euros ou 10 000 euros.

Ce dernier dispositif est applicable aux déclarations devant être souscrites à compter du 15 mars 2012.

Cette nouvelle amende de 5 % s'applique aux omissions déclaratives constatées et à partir de la date limite de dépôt de la déclaration des revenus de 2011. Autrement dit, à ce jour l'amende s'applique au moins une fois et elle s'appliquera une deuxième fois, après la date limite de déclaration des revenus 2012, soit le 27 mai 2013. Il est encore temps de déposer les déclarations des comptes étrangers, sachant que cette pénalité de 5 % s'applique pour toute année d'omission à compter de 2012 et jusqu'au plafond de 24 % (compte tenu du délai de prescription de cinq ans).

 

Délai de prescription

 

L'amende est applicable à chaque année non prescrite au titre de laquelle l'infraction est mise en évidence.

La prescription de cette amende est atteinte à la fin de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle les infractions ont été commises (LPF, art. 188).

 

Application au cas de M. CAHUZAC

La France et Singapour sont liés par une convention fiscale signée à Paris le 9 septembre 1974. Un avenant introduisant une clause d'échange de renseignement conforme au modèle de Convention fiscale de l'OCDE a été signé à Singapour le 13 novembre 2009. De même la Suisse n'est devenue un état coopératif que depuis 2010.

En 2009, il faut appliquer l'amende du pays non coopératif soit 10 000 euros puis l'amende revient à 1 500 euros à partir de 2010.

Remarque : M. CAHUZAC retire son compte de Suisse au moment où le pays devient coopératif mais il met son argent dans un pays qui le devient juste à ce moment-là. SINGAPOUR est-il vraiment si coopératif ?

M. CAHUZAC peut donc se voir infliger un total de :

Année Montant de l'amende
2009 10 000 €
2010 1 500 €
2011 1 500 €
2012 1 500 €
Total 14 500 €

 

Impôt sur le revenu

 

Si je suppose que l'argent du compte a été placé et a généré des revenus, M. CAHUZAC sera imposable sur les revenus réalisés sur son compte depuis 10 ans. Il peut d'ailleurs faire l'objet d'un ESFP (contrôle fiscal approfondi) sur toute cette période.

Mais M. CAHUZAC aurait annoncé qu'il allait rapatrier les fonds. C'est une erreur car il risque alors d'être imposé sur le revenu à hauteur des fonds rapatriés.

 

Règles applicables

Les fonds transférés à l'étranger ou en provenance de l'étranger par l'intermédiaire de comptes non déclarés sont présumés constituer des revenus imposables (CGI, art. 1649 A).

Ces revenus sont donc soumis à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales sur les revenus du patrimoine de 15,5 %.

Par ailleurs, les rappels d'impôts correspondants sont assortis d'une majoration de 40 % en application de l'article 1758 du Code général des impôts et de l'intérêt de retard visé à l'article 1727. Ces pénalités s'appliqueraient aussi aux prélèvements sociaux.

 

Fait générateur et prescription

Le fait générateur de l'impôt dû au titre des sommes transférées vers l'étranger ou en provenance de l'étranger par l'intermédiaire de comptes non déclarés est constitué par le passage en douane, et non par la perception initiale du revenu (CAA Marseille 15 décembre 2010, n° 08-981, 4e ch., RJF 5/11 n° 540 ; CE 26 juillet 2011 n° 327033, Leleu, RJF 11/11 n° 1121).

En conséquence, "ces dispositions instituent une présomption légale spécifique d'existence de revenus à hauteur du montant du flux financiers, laquelle, implicitement mais nécessairement, autorise l'administration à interrompre la prescription à hauteur de ce montant en adressant au contribuable une notification contenant les éléments de nature à établir que les conditions d'application de cet article sont remplies" (CAA Marseille 15 décembre 2010, n° 08-981, 4e ch., RJF 5/11 n° 540).

Autrement dit, le fait que les dépôts sur le compte étranger non déclaré soient issus de revenus perçus au cours d'une période prescrite ne fait pas obstacle à l'imposition des fonds rapatriés en France.

 

Preuve contraire

Le contribuable peut éviter la taxation en apportant la preuve que les sommes transférées vers l'étranger ou en provenance de l'étranger ne constituent pas des revenus imposables.

Le contribuable doit donc prouver que ces sommes :

- constituent des revenus qui ont déjà été imposées ;

- ou alors qu'elles correspondent à des sommes exonérées ou n'entrant pas dans le champ d'application de l'impôt.

 

Application au cas de M. CAHUZAC

Sur son blog, Jérôme CAHUZAC a indiqué que le compte qu'il détient à l'étranger n'a fait l'objet d'aucun versement depuis "une douzaine d'années".

Il a également indiqué qu'il avait donné "les instructions nécessaires pour que l'intégralité des actifs déposés sur ce compte [...] soient rapatriés sur mon compte bancaire à Paris".

En supposant que M. CAHUZAC soit imposable à la tranche marginale de l'IR, soit 45 % et en prenant en compte les prélèvements sociaux au taux de 15,5 % et la pénalité de 40 % le montant total de l'imposition peut atteindre 508 000 euros.

C'est le rapatriement de ces fonds en France qui gérèrent l'imposition. Si M. CAHUZAC laissent ses fonds sur son compte à Singapour, aucun n'impôt n'est dû à ce titre. D'ailleurs rien ne l'oblige à rapatrier les fonds.

En pratique, il ne faut jamais rapatrier des fonds sans avoir procéder à la régularisation préalable du compte et donc avoir déposé, en principe pour chacune des années non prescrites, une déclaration de détention de compte à l'étranger.

Mon conseil à Jérôme : faire rapidement une régularisation de cette déclaration et ne pas rapatrier les fonds avant cette régularisation.

 

Droits de mutations à titre gratuit

 

Règles applicables

L'article 8 de la troisième loi de finances rectificatives pour 2012 du 29 décembre 2012 a mis en place une procédure de demandes d'informations ou de justifications spécifique au contrôle des comptes bancaires et des contrats d'assurance-vie souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger et non déclarés.

Les dispositions de l'article L 23 C du LPF permettent à l'administration de demander aux personnes physiques n'ayant pas satisfait, au moins une fois au titre des dix années précédentes, aux obligations déclaratives, des informations ou justifications sur l'origine et les modalités d'acquisition des avoirs placés sur leurs comptes ou contrats dissimulés.

A défaut de réponse (ou en cas de réponse insuffisante) du contribuable à une demande d'informations ou de justifications, le patrimoine d'origine occulte est présumé avoir été reçu à titre gratuit et taxé d'office aux droits de mutations à titre gratuit au taux de 60 % (nouveaux art. L 71 du LPF et 755 du CGI).

A ces droits d'ajoute une majoration de 40 % pour manquement délibéré.

Ce dispositif n'a pas encore été officiellement commenté par l'administration fiscale et beaucoup de questions se posent sur le mode d'application de cette mesure.

Officieusement, l'administration a admis que cette taxation ne s'appliquerait pas aux régularisations spontanées.

Une question importante est de savoir avec quelle sévérité l'administration appréciera la notion de réponse insuffisante. En pratique, de nombreux comptes étrangers proviennent d'un transfert gratuit d'un parent décédé depuis longtemps mais ce n'est pas toujours facile à prouver.

De même si les fonds proviennent de revenus non déclarés, il ne sera pas facile, par hypothèse, de démontrer l'existence de ces revenus occultes.

Une autre question est de savoir si la demande d'information pourra porter sur une période prescrite. Autrement dit, la taxe peut-elle être évitée si le contribuable peut faire valoir que le compte était déjà pourvu de la somme au 1er janvier de la première année non prescrite ? Cela paraît raisonnable de considérer que la demande d'information ne pourra porter que sur les fonds transmis pendant la période du délai de reprise mais ce point reste incertain.

 

Application au cas de M. CAHUZAC

Si le dispositif est appliqué par l'administration fiscale, le montant des droits de la majoration seraient de 504 000 euros.

Toutefois à mon avis l'administration fiscale, ne pourra appliquer cette taxation, compte tenu de l'ancienneté du compte.

 

ISF

 

Règles applicables

En matière d'ISF, l'administration actuellement d'un délai de reprise de six ans lorsque le contribuable a dissimulé des avoirs détenus à l'étranger.

La troisième loi de finances rectificatives pour 2012 du 29 décembre 2012 a étendu ce délai de reprise à 10 ans lorsque les redevables de l'ISF n'ont pas déclarés des avoirs détenus à l'étranger.

Cette mesure s'applique aux délais de reprise venant à expiration postérieurement au 31 décembre 2012. Les périodes déjà prescrites ne seront pas remise en cause. Donc en pratique, le délai de reprise ne peut remonter que jusqu'à l'ISF 2007. Pour l'instant le délai de reprise n'est pas rallongé par rapport au droit commun de 6 ans.

Les rappels sont assortis des intérêts de retard (0,4 % par mois, soit 4,8 % par an) et d'une majoration de 40 % prévue en cas de manquement délibéré ou de 80 % en cas de manoeuvre frauduleuses.

 

Application au cas de M. CAHUZAC

A l'égard de M. CAHUZAC, les rappels d'ISF pourront porter sur les années 2007 à 2012.

Mon conseil à Jérôme : faire les déclarations rectificatives d'ISF à compter de 2007. Ne pas oublier de mentionner dans ces déclarations les passifs fiscaux résultant des rappels, ce qui est avantageux pour le contribuable. Par exemple, les rappels d'ISF de 2007 à 2011 sont des passifs à déduire du patrimoine taxable à l'ISF 2012.

Appel à la direction des services fiscaux : merci de se dépêcher de gérer le cas de leur ancien ministre et de ne pas oublier que de nombreux français, en infraction mais au fond un peu plus honnêtes que le ministre, attendent la réouverture de la cellule de régularisation.

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