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Défiscalisation

Démêlez les noeuds de la fiscalité
vendredi, 11 octobre 2013 13:09

Deux décisions de justice contestable dans un schéma de défiscalisation

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Le présent mémo vise à commenter deux décisions : l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 juillet 2013 n° 12/10211 et la décision du TGI de Versailles du 17 septembre 2013 n° 10/01549.

Ces deux décisions portent sur le même schéma de défiscalisation vendu par une officine de défiscalisation qui, depuis, a fait faillite.

L'officine de défiscalisation avait vendu un produit "clé en main", un "package" comprenant la création de la société, le financement bancaire, l'expert-comptable, le notaire, le bail commercial à une société d'exploitation gérant la résidence.

Ce package avait été vendu à des centaines d'investisseurs. Il y avait une quinzaine de résidences et deux sociétés d'exploitation appartenant au même groupe que l'officine.

Dans ce package, les honoraires de l'officine de défiscalisation et les autres frais représentant près de 30 % du prix des constructions (ou 20 % du prix total, honoraires compris). Ces honoraires permettaient de gonfler les charges au moment de l'achat et de faire apparaître un déficit fiscal très important la première année.

Le schéma s'est révélé catastrophique pour les investisseurs.

Dans un premier temps, les investisseurs et leurs sociétés ont subis des rappels fiscaux (TVA et impôt sur le revenu).

Le régime fiscal était celui de la location meublée professionnelle (LMP). L'achat avait été fait par le support d'une EURL ou une SARL.

Dans le dossier jugé par le TGI de Versailles, les appartements avaient été vendus sur plan (VEFA, vente en l'état futur d'achèvement). Dans le dossier jugé par la Cour d'appel de Paris, les biens ont été vendus déjà terminés.

Dans les deux affaires, les services fiscaux ont remis en cause la déduction des honoraires de l'officine et les autres frais, en raison d'irrégularités comptables et de défaut de documents justificatifs.

Dans l'affaire du TGI de Versailles, les services fiscaux ont également remis en cause de l'application du régime du LMP à un VEFA, faute de remplir l'une des conditions légales au moment de l'achat (seuil de 23 000 euros de recettes).

Dans un deuxième temps, les sociétés exploitant les résidences ont fait faillite, révélant le caractère structurellement déficitaire de l'exploitation de la résidence, les loyers promis aux investisseurs ne pouvant plus être versés.

Dans le dossier de la cour d'appel de Paris, l'investisseur a mis en cause la responsabilité des notaires et de l'expert-comptable.

Dans le dossier du TGI de Versailles, l'investisseur a agi en justice contre tous les intervenants du package (officine, notaire, banques, expert-comptable).

La cour d'appel de Paris admet la responsabilité de l'expert-comptable mais exclut celle des notaires.

Le TGI de Versailles rejette toutes les demandes de l'investisseur.

Je propose de reprendre ces deux décisions l'une après l'autre et de les commenter.

Le texte de la décision est en italique suivi de mes commentaires.

 

Commençons par la décision de la cour d'appel de Paris, la décision du TGI sera commenté dans une autre note

En 2000 et 2002, les époux B ont constitué les sociétés B PATRIMOINE et B 02 PATRIMOINE pour investir dans des projets immobiliers de défiscalisation par l'acquisition de lots de copropriété de résidences hôtelières dont les revenus locatifs relevaient du régime fiscal de la location meublée professionnelle.

Ce projet de défiscalisation leur avait été proposé "clé en main" par M. Jean-François G., l'offre de services couvrant à la fois la simulation financière, la constitution de sociétés transparentes, l'obtention du financement, la rédaction des actes de vente par des notaires partenaires, l'exploitation des résidences hôtelières par des sociétés intermédiaire et le suivi comptable et fiscal par un expert du chiffre.

La société B PATRIMOINE a acquis par actes notariés reçus par Maître D :

- le 31 octobre 2000, plusieurs lots dans une résidence située au Cap d'Ail pour un prix de 6 210 844 francs (946 837,06 euros),

- le 29 décembre 2000, deux lots d'une résidence située à Valbonne pour un prix de 863 292 francs (131 608 euros),

- le 29 décembre 2000, plusieurs lots d'une résidence à Avignon pour un prix de 1 530 840 francs (233 375 euros).

Par acte notarié reçu par Maître P, la société B 02 PATRIMOINE a, quant à elle, acquis le 25 juillet 2002 deux lots d'une résidence située à CHELLES pour un prix de 576 674 euros.

Les sociétés B PATRIMOINE ET B 02 PATRIMOINE ont confié au cabinet d'expertise O FIDUCIAIRE une mission de tenue et de présentation des comptes ainsi que d'établissement des déclarations fiscales.

Les deux sociétés ont fait l'objet d'un contrôle fiscal à la fin 2003 pour la première, au début 2004 pour la seconde, au cours duquel le cabinet O FIDUCIAIRE a été mandaté par leur gérant pour les représenter.

L'administration fiscale a notifié un redressement, le 23 décembre 2003, à la société B PATRIMOINE pour un montant de 67 372 euros et le 6 février 2004 à la société B PATRIMOINE pour un montant de 22 467 euros.

Ces redressements ont été opérés au motif de déductions de l'assiette imposable du montant de TVA se rapportant à des facturations de frais et d'honoraires de commercialisation non justifiés, ces derniers qui avaient été déduits au titre des amortissements des immobilisations incorporelles ayant, par ailleurs, été porté en résultat.

Les sociétés B PATRIMOINE et B 02 PATRIMOINE ayant opté pour le régime d'imposition à la personne, les pertes des deux sociétés qui avaient été déduites par les époux B de l'assiette de leur impôt sur le revenu, ont été en conséquence rectifiées, et un rappel d'impôt sur le revenu leur a été notifié pour les années 2000, 2001 et 2002 à hauteur de 351 528 euros, incluant les intérêts et pénalités de retard pour 54 067 euros le 13 décembre 2005.

Après discussions avec les intéressés, 1'administration fiscale a ramené, le 16 février 2010, les redressements aux sommes de 45 529 euros au titre de la TVA et 32 712 euros au titre de l'impôt sur le revenu. (...)

Dans ce dossier, il n'y a pas eu de schéma de LMP en VEFA, les intéressés ont acheté leurs biens déjà achevés. Les services fiscaux ont donc limité leur rappel à la question du caractère non justifié des frais d'achat, ce qui a entraîné la remise en cause de la déduction de ces frais du résultat imposable pour les époux B, et donc la remise en cause de la défiscalisation, mais aussi la remise en cause de la déduction de la TVA pour les sociétés qui ont servi de support juridique à l'investissement.

Par jugement du 26 mars 2012, le tribunal a débouté les époux B et les deux sociétés B Patrimoine et B 02 Patrimoine de leurs demandes à l'égard des sociétés civiles de notaires, a dit que la société O Fiduciaire a commis une faute engageant sa responsabilité, l'a condamnée à payer aux sociétés B Patrimoine et B 02 Patrimoine la somme de 45 529 euros et à M. et Mme B la somme de 32 712 euros à titre de dommages et intérêts, a débouté M. et Mme B de leurs autres demandes, a condamné la société O Fiduciaire à payer aux demandeurs la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, a condamné les demandeurs à payer la somme de 1 500 euros aux sociétés civiles de notaires, a ordonné l'exécution provisoire et a condamné la société O Fiduciaire aux dépens.

La société O Fiduciaire a relevé appel de cette décision par déclaration du 5 juin 2012.

 

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par la société O Fiduciaire

La société O oppose aux consorts B et à leurs sociétés la clause abréviative de prescription figurant dans les deux lettres de mission à elle confiée par les sociétés B Patrimoine et B 02 Patrimoine.

Cette clause est ainsi rédigée :

"Tout appel ou responsabilité ne pourra être introduit que pendant une période de cinq années commençant à courir le premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être présentée dans les trois mois suivant la date à laquelle vous aurez connaissance du sinistre éventuel",

Les consorts B et leurs sociétés font valoir que cette clause ne saurait leur être opposée aux motifs qu'une des deux lettres de mission n'est pas signée par M B, seul représentant légal de la société B Patrimoine, mais par son épouse et que l'autre n'est pas datée, que de telles clauses*abréviatives de prescription ne sont valables qu'entre professionnels, qu'en tout état de cause la connaissance certaine et définitive du dommage ne résulte que de l'accord amiable conclu avec l'administration fiscale le 4 mars 2010 de sorte que le délai de cinq ans, à le supposer applicable ne courrait qu'à compter de cette date, qu'enfin l'avis de mise en recouvrement de leur impôt sur le revenu n'est que du 21 septembre 2005, de sorte que M. et Mme B ne se trouvaient pas prescrits à la date de délivrance de l'assignation le 24 juillet 2010.

Mais celui qui se prévaut d'une lettre de mission confiée à un expert-comptable pour rechercher la responsabilité de ce dernier n'est pas recevable à invoquer l'absence de signature ou de date du contrat pour échapper à une de ses clauses, étant de surcroît observé que les deux lettres de mission sont rédigées en des termes identiques, signées au nom et pour le compte de chacune des deux sociétés, M. B ne déniant ni le paraphe ni la signature qui figurent sur la lettre de mission émanant de la société B 02 Patrimoine, de sorte que le moyen sera rejeté.

Sauf dispositions d'ordre public contraires, en l'espèce non invoquées, les aménagements conventionnels de prescription désormais consacrés par l'article 2254 du code civil sont réguliers, notamment dans les rapports entre professionnels, qualité revendiquée par la société B Patrimoine et B 02 Patrimoine au titre du régime fiscal dont elles se prévalent en qualité de bailleur de meublés à titre professionnel.

En l'espèce, les aménagements conventionnels de prescription auxquels ont souscrits les deux sociétés ne se bornaient pas à en réduire le délai de dix à cinq ans, mais précisaient également le point de départ de celui-ci qui n'était pas la connaissance certaine et définitive du dommage comme elles le soutiennent de manière inopérante mais le premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre.

En l'espèce le sinistre est né au jour de la notification des redressements.

Le premier redressement notifié à la société B Patrimoine est en date du 22 décembre 2003, de sorte que la prescription a commencé à courir le ler janvier 2004. La société B Patrimoine était dès lors prescrite à la date d'engagement de son action, le 24 juillet 2010.

Le second redressement a été notifié à la société B 02 Patrimoine le 6 février 2004, faisant courir le délai de prescription à compter du 1er janvier 2005, de sorte qu'elle était également prescrite au 24 juillet 2010.

Il sera dès lors fait droit à la fin de non-recevoir qui est opposée de ce chef aux sociétés B Patrimoine et B 02 Patrimoine.

La position du juge comporte d'abord selon moi une erreur de droit.

Il est en effet inexact au plan juridique de considérer qu'une personne est un professionnel au sens du droit de la responsabilité civile parce qu'il est qualifié de "professionnel" au sens du droit fiscal.

Le droit civil et le droit fiscal n'ont pas du tout les mêmes définitions du terme professionnel. D'ailleurs le mot professionnel n'a pas le même sens selon les régimes fiscaux. Les loueurs en meublé en savent quelque chose puisqu'ils peuvent être professionnels au sens de l'impôt sur le revenu et non professionnel au sens de l'ISF et que la plupart ont perdu la qualité de loueur professionnel suite à la modification de la réglementation en 2009. Ils l'étaient avant et il ne l'ont plus été après.

Au cas particulier, pour être professionnel, il suffisait selon le texte en vigueur au moment des faits et au titre du régime de l'imputation des déficits, que les contribuables soient inscrits au registre du commerce et réalisent plus de 23 000 € de recettes. Le texte fiscal a été modifié en 2009 en rajoutant une nouvelle condition selon laquelle les recettes de l'activité meublée doivent être supérieures aux autres revenus professionnels du foyer fiscal. Il est probable que, fiscalement, les époux B, ont perdu la qualité de loueurs en meublé professionnels depuis 2009.

D'ailleurs, au sens fiscal, ce n'était pas les sociétés qui avaient la qualité de leur en meublé professionnels mais uniquement les époux B. Les sociétés étant transparentes au titre de l'impôt sur le revenu, elles n'ont jamais eu la qualité de loueur en meublé professionnel au sens fiscal.

Le juge aurait dû plutôt examiner si, en l'espèce, au regard des seuls critères économiques et juridiques, les sociétés concernées pouvaient être considérées comme des professionnels.

Il pourrait être considéré que toute société commerciale a nécessairement la qualité de professionnel mais selon moi, il convient d'avoir une approche réaliste prenant en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce. Au cas particulier, les époux B ont constitué ces sociétés exclusivement pour réaliser des opérations d'investissement immobilier dans le cadre du "package" du produit de défiscalisation. Il s'agit de structures interposées n'ayant pas d'activité professionnelle et servant de simple support juridique pour effectuer le placement. L'activité de location meublée, même exercée à titre habituelle, est considérée généralement comme de nature civile. L'intérêt de créer une société commerciale au titre du schéma fiscal est de permettre d'avoir l'inscription au registre du commerce car les simples individus ne pouvaient l'obtenir auprès du greffe, la location meublée étant considérée comme une activité civile non commerciale. Le cabinet comptable était informé de cette situation et en conséquence la clause de limitation de responsabilité imposant un délai de 5 ans aurait dû être écartée.

Une clause exonératoire de responsabilité doit être réputée non écrite quand elle permet au prestataire d'échapper à son obligation principale (voir aussi CA Paris du 14 septembre 2010). C'est particulièrement vrai pour un professionnel libéral exerçant une profession réglementée qui, selon moi, se doit d'assurer ses obligations de conseil envers tous ses clients sans limitation, même s'ils sont professionnels.

Peut-on imaginer un avocat incluant ce type de clause dans ses conditions générales : "si mes conseils sont faux, vous avez trois mois pour engager ma responsabilité après la découverte de mes erreurs" ?

Le délai de 5 ans est plus raisonnable et correspond d'ailleurs au nouveau délai de droit commun en matière de responsabilité.

La cour l'applique aux sociétés en considérant que la notification de redressement fait commencer à courir le délai de prescription. Cette position est conforme à la jurisprudence. Mais elle est critiquable car, sur le plan fiscal, une proposition de rectification est un document de la procédure contradictoire et, comme son nom l'indique, elle constitue seulement un projet de rappel, une entrée en discussion proposée par l'administration. En pratique, il arrive très souvent que l'administration abandonne ses prétentions au cours de la procédure. Au stade de la proposition de rectification, le rappel est encore très hypothétique. Il peut même être fantaisiste. Le sinistre n'existe réellement selon moi qu'au stade du recouvrement.

Notons que dans ce dossier la clause imposait deux délais. Un premier délai de 5 ans pour agir à compter de la réalisation du sinistre et un délai très court de 3 mois pour agir à compter de la connaissance du sinistre.

La cour n'a pas eu à se prononcer sur le délai de 3 mois. Selon moi, un tel délai est excessif. Il est tellement court qu'il équivaut de facto à une exonération de responsabilité (voir en ce sens CA Paris, 14 décembre 2010, n° 08/09544).

S'agissant du rappel d'impôt sur le revenu des époux B, ces derniers invoquent un avis de mise en recouvrement du 21 septembre 2005, qui fait seul courir la prescription de leur action en responsabilité à l'égard de la société O Fiduciaire, les lettres de mission qui ont été délivrées à cette dernière par les deux sociétés ne visant pas l'intervention de l'expert-comptable au titre de l'établissement des déclarations d'impôt sur le revenu des personnes physiques qui les dirigent.

Il en résulte que l'action de M. et de Mme B qui n'étaient pas parties au contrat à titre personnel, est nécessairement de nature délictuelle, le préjudice invoqué (32 712 euros) résultant d'un éventuel manquement de la société O Fiduciaire aux obligations contractuelles qu'elle avait souscrites à l'égard des sociétés B Patrimoine et B 02 Patrimoine de sorte qu'à la date d'engagement de l'instance, cette action, à laquelle la clause abréviative de prescription n'est pas opposable, n'était pas prescrite. La fin de non-recevoir qui est opposée de ce chef à M. et Mme B sera par conséquent rejetée.

La cour considère que l'action des époux B est une action délictuelle et que, dans ce cadre, la clause abréviative de responsabilité du contrat ne s'applique pas. Juridiquement cela paraît imparable puisque la lettre de mission n'était pas conclue avec les époux B mais avec leur société. Il semble également que le juge valide la thèse selon laquelle, pour les époux B, la connaissance du sinistre et le début du délai de prescription, n'est intervenue pour eux qu'au moment de la mise en recouvrement.

 

Sur la faute de la société O Fiduciaire

Les demandeurs expliquent que l'inspecteur des impôts a relevé que la majorité des frais figurant dans les divers actes authentiques et les livres de comptes n'était pas justifiée par des factures permettant d'apprécier la matérialité et l'intérêt des prestations fournies et que leur règlement effectif n'était pas démontré, que de surcroit le cabinet O Fiduciaire a présenté à l'administration fiscale des factures émises par des sociétés qui n'étaient pas parties aux ventes immobilières, de sorte que sa responsabilité se trouve nécessairement engagée pour avoir passé en comptes sans justificatif ou sur la base de justificatifs qu'elle savait fictifs ou erronés des frais et opérations dont le montant déduit à tort, a finalement été retraité en chiffre d'affaires ce qui a augmenté d'autant l'assiette de leur impôt sur le revenu.

La société O Fiduciaire affirme avoir exécuté sa mission dans des conditions exemptes de toute critique, rappelant que la mission d'expert-comptable s'effectue sur la base des informations communiquées par le client qui a la responsabilité de conserver les pièces justificatives de sa comptabilité et qu'en l'espèce les actes authentiques qui mentionnaient ses frais et provisions suffisent à faire foi des prestations passées en compte, ce dont l'administration fiscale aurait dû convenir.

Mais il sera relevé, après les premier juges, que la société O Fiduciaire était chargée de la tenue de la comptabilité des sociétés B, qu'elle a établi les déclarations fiscales et a opéré les déductions litigieuses ayant donné lieu aux redressements fiscaux et qu'il lui appartenait à ce titre de s'assurer que cette déclaration était conforme aux exigences légales.

L'administration fiscale a en particulier relevé :

- qu'avait été déduite, pour chaque acquisition, la TVA correspondant à des factures d'une société International Sponsoring Finance et Consultance France, le montant hors taxe des factures, à hauteur d'une somme de 2 26 6557 francs, ayant été inscrits au titre des amortissements d'immobilisations incorporelles, alors que les actes notariés ne mentionnaient pas l'intervention de ce prestataire de service,

- que des factures présentées lors du contrôle fiscal ne correspondaient pas au montant porté en comptabilité, la différence étant du simple au double (121 944 francs facturé pour un montant déduit de 229*905 francs),

- qu'ont été comptabilisées sur l'exercice 2000 des cotisations d'assurances appelées sur l'exercice suivant,

- qu'ont été à tort déduites des primes d'assurance-vie, à hauteur de 519 176 francs, devant être comptabilisées en actif immobilisé.

Il résulte de ces seules constatations que la société O Fiduciaire, en procédant à diverses déductions du bénéfice imposable des sociétés B irrégulières ou d'un montant dont elle ne s'était pas au préalable assurée de la justification, puis en présentant à l'Administration fiscale auprès de laquelle était mandatée lors du contrôle fiscal des factures impropres à convaincre cette dernière de la réalité des écritures comptables passées, a commis plusieurs fautes engageant sa responsabilité professionnelle.

Compte tenu des fautes reprochées, c'est de manière inopérante que l'appelante invoque une décision isolée, et dont le caractère définitif n'est pas même allégué de la juridiction administrative ayant considéré que la réalité des prestations mentionnées et chiffrées dans un acte notarié faisaient foi des*dépenses engagées, alors que les manquements relevés à sa charge excédent largement ce seul point.

En l'espèce, les services fiscaux avaient relevé de nombreuses irrégularités comptables. Rappelons que la mission principale de l'expert-comptable est de passer des écritures sur la base de documents comptables. Une dépense ne peut être prise en compte au sens comptable et fiscal que si l'écriture comptable est correctement justifiée. Il est donc de la responsabilité directe de l'expert-comptable d'établir une comptabilité correcte justifiée par des pièces de qualité suffisante.

Si les pièces justificatives sont défaillantes il doit au minimum en avertir le client et même refuser de passer les écritures.

Il ne suffit pas qu'une dépense soit prouvée pour qu'elle soit déductible du résultat et que la TVA la grevant soit récupérable. Le droit fiscal impose un strict respect du droit comptable et des documents justificatifs incontestables.

La société d'expertise comptable invoquait une décision d'un tribunal administratif qui avait admis la déduction des charges au seul motif qu'elles étaient reprises dans l'acte notarié. Le juge d'appel rejette à juste titre cet argument. En effet, sur le plan des principes généraux, la seule mention d'une dépense dans un acte notarié ne peut être considéré comme un justificatif suffisant. Par ailleurs, une décision isolée d'un tribunal administratif ne fait pas une jurisprudence sérieuse. En matière fiscale, les décisions de première instance sont souvent d'une valeur limitée.

 

Sur le préjudice résultant de ces fautes

M. et Mme B ont fait en définitive l'objet d'un rappel d'impôt sur le revenu de 32 712 euros.

La société O Fiduciaire fait valoir pour l'essentiel que le montant de l'impôt normalement dû ne constitue pas un préjudice indemnisable.

Mais il résulte des faits de l'espèce, qu'une partie des fautes reprochées, et notamment la présentation lors de la vérification fiscale de factures non corrélées aux charges déduites, est le fait exclusif du cabinet d'expertise comptable, de sorte qu'il se trouve par sa seule négligence directement à l'origine du préjudice allégué, lequel n'est plus le montant du rappel d'impôt initialement notifié aux époux B (soit la somme de 297461 euros), mais la somme de 32 712 euros effectivement rappelée.

La société d'expertise comptable faisait valoir que le fait d'avoir à payer un impôt sur le revenu dans le cadre d'un rappel fiscal n'est pas un préjudice indemnisable.

En fait tout dépend des cas.

Si le rappel fiscal ne pouvait pas de toute façon être évité si la loi fiscale avait été respectée dès l'origine, le rappel n'est pas un préjudice indemnisable. En effet dans cette situation, même si l'expert-comptable avait fait un travail de qualité, son client n'avait pas droit à l'avantage fiscal. Ne peut être indemnisé directement un rappel qui remet le contribuable dans la situation qui aurait dû être la sienne si la loi fiscale était respectée. Dans cette situation, l'indemnisation peut toutefois être partielle, sur la base du fondement juridique de la perte de chance. Dans le cas d'une défiscalisation qui se révèle erronée par exemple, l'investisseur a perdu une chance de pouvoir réduire son imposition en investissant dans un produit de défiscalisation de qualité.

Mais si le rappel fiscal a uniquement pour cause le mauvais travail de l'expert-comptable, le préjudice est intégralement indemnisable. C'est ce qui a été jugé en l'espèce.

Implicitement, le juge a considéré que les rappels ne résultaient que des fautes comptables.

Selon moi, il avait parfaitement raison.

En l'espèce, le défiscaliseur avait mis au point un schéma de facturation compliqué et artificiel : les sociétés de son groupe qui facturaient les prestations d'ingénierie patrimoniale (montage du dossier de défiscalisation) n'étaient pas celle qui avait réalisé effectivement la prestation de conseil ou, du moins, aucun document ne pouvait permettre de justifier la réalisation de la prestation par la société en question. L'expert-comptable aurait dû intervenir pour éclaircir la situation et obtenir des justificatifs incontestables (notamment un contrat de réalisation de la prestation avec des documents démontrant la réalité de la prestation), le schéma comptable aurait dû correspondre au schéma financier des paiements et il fallait donc justifier que les sociétés d'investissement payaient bien directement leurs prétendus prestataire.

Le jugement déféré sera dès lors confirmé en ce qu'il a condamné la société O Fiduciaire à payer cette somme à titre de dommages et intérêts aux époux B. Ces derniers seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts supplémentaires au titre des tracasseries administratives, de l'atteinte à l'honorabilité et de la perte des loyers résultant de l'absence de rentabilité de leur investissement, faut de lien de causalité entre ces postes de préjudice et les fautes retenues à la charge de la société O Fiduciaire.

Il sera souligné en effet, que tout contribuable peut être appelé à faire l'objet d'un contrôle fiscal sans qu'il en résulte d'atteinte à son honorabilité, qu'en l'espèce le contrôle fiscal n'a concerné que les sociétés B, qui se trouvent prescrites en leur action, et non M. et Mme B à titre personnel, et que la moindre rentabilité d'opérations de défiscalisation de cette nature ne procède pas de l'expert-comptable mais du professionnel de la défiscalisation qui se trouve à l'origine de l'opération.

Il est de jurisprudence constante que le contribuable ne peut se plaindre de subir un contrôle fiscal. Ce n'est pas un préjudice indemnisable. Cela dit, en l'espèce, tous les investisseurs clients de l'officine en question avaient fait l'objet d'un contrôle fiscal parce que les mêmes erreurs se retrouvaient évidemment dans tous les dossiers. Les contrôles fiscaux n'étaient pas le fruit du hasard mais le résultat des fautes du cabinet. De plus, s'il n'y avait pas eu les fautes de l'expert-comptable, le rappel se serait rapidement terminé. Autrement dit, c'est bien de la faute de l'expert-comptable si le contrôle a eu lieu et surtout s'il a occasionné à une longue procédure.

 

Sur la responsabilité des notaires

Les demandeurs exposent que les notaires auraient dû les alerter sur le montant des honoraires et provisions particulièrement élevés (près de 30 % du prix de vente) et les informer que ces frais devaient faire l'objet de factures et être justifiés et qu'en s'en étant abstenus ils ont engagé leur responsabilité professionnelles à leur égard.

Mais il sera relevé, après les premiers juges, que les notaires n'étaient pas les concepteurs de l'opération de défiscalisation et n'ont pas participé à la signature des engagements souscrits par les investisseurs, lesquels étaient assistés d'un cabinet d'expertise comptable qualifié pour les conseiller sur le plan fiscal, que la ventilation du prix de vente telle qu'elle figure dans les actes notariés résulte des accords passés entre les époux B et le cabinet Guinot lors du contrat de réservation, soit bien antérieurement à leur intervention et n'avait d'autre objet que d'établir l'assiette de leurs émoluments calculés sur le seul le prix du foncier et non sur la totalité du prix de l'opération qui incluait les coût du service vendeur ("'package") de sorte que ces derniers en établissant, après la signature des engagements sous seing-privé, les actes translatifs de propriété ne se trouvent nullement à l'origine, ni directement ni indirectement des déductions fiscales auxquelles a procédé le cabinet O Fiduciaire durant les trois exercices qui ont suivi la vente.

Les sociétés B Patrimoine, B 02 Patrimoine et les époux B seront par conséquent déboutés de leurs demandes à leur égard.

La décision est très contestable sur ce point.

L'argument selon lequel les notaires ne seraient intervenus qu'une fois le schéma déjà mis en place, ce qui justifierait leur mise hors de cause, est absurde. Si cet argument était valide, il empêcherait presque toute action en responsabilité contre les notaires car les notaires sont rarement à l'initiative des opérations de vente.

Jusqu'à la signature de l'acte notarié, l'opération peut toujours être annulée. Un notaire a le temps de préparer son acte et il est de son devoir d'examiner au minimum la régularité apparente de l'opération qu'il formalise. S'il détecte des anomalies il doit en prévenir son client qui peut toujours alors renoncer à la vente.

La question est plutôt de savoir si le notaire n'a pas failli à son obligation de conseil, s'il ne devait pas au minimum avertir les acheteurs des bizarreries flagrantes du dossier.

Au cas particulier, les bizarreries ne manquaient pas. Non seulement les honoraires atteignaient un niveau délirant (30 %) mais ces honoraires n'étaient justifiés par aucun contrat. Or selon moi, le notaire devait au minimum vérifier l'existence de contrats.

De plus, les bizarreries comptables sont directement formalisées dans les actes notariés. Le notaire a intégré les honoraires d'ingénierie dans le prix de vente, de façon irrégulière pour permettre le financement bancaire. Il a encaissé ce prix de vente en le reversant au promoteur mais sans reverser la part revenant aux prestataires. L'acte notarié indique un montant très élevé des honoraires d'ingénierie mais il ne mentionne pas le nom du prestataire qui fournit la prestation. Etc.

Le notaire savait que c'était un schéma de défiscalisation basée sur la déduction des frais d'achat, donc il aurait dû au moins attirer l'attention des acheteurs sur le défaut de justification de ces frais.

De plus, dans ce dossier, les deux notaires incriminés étaient les notaires habituels et successifs de l'officine. Il était donc difficile de croire qu'ils n'étaient pas au courant de l'embrouillamini fiscalo-juridico-comptable réalisé par l'officine. Le juge aurait dû appliquer le principe de la responsabilité alourdie pour le notaire habituel du promoteur, principe pourtant reconnu par la jurisprudence (Cass. civ. 30 septembre 2008, n° 06-21.183).

Enfin, le juge commet une erreur de droit en invoquant le fait que les investisseurs étaient assistés par un expert-comptable pour les conseiller au plan fiscal pour justifier leur mise hors de cause. Il est en effet de jurisprudence constante (Cass. civ. 12 décembre 1995, n° 93-18.753 93-19.460 Bull. 1995 I n° 459 p. 320) qu'un notaire ne peut se décharger de sa responsabilité en invoquant la présence d'autres conseils auprès de son client. Comme l'a dit fort justement un auteur, en présence de plusieurs conseils, l'addition des honoraires justifie le cumul des responsabilités.

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