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Défiscalisation

Démêlez les noeuds de la fiscalité
jeudi, 12 juillet 2012 07:33

La responsabilité du notaire

Lorsque le contribuable fait un investissement de défiscalisation immobilière et qu'il est victime d'une tromperie grossière, peut-il mettre en cause le notaire et l'attaquer en responsabilité ?

La réponse est généralement oui.

Le notaire est même souvent l'intervenant du package fiscal le plus facile à attaquer.

La première raison tient au fait que les notaires sont toujours solvables.

Alors que si le contribuable attaque le promoteur ou l'officine qui a vendu le produit, le risque est que, même si l'action en justice en justice lui donne gain de cause, le contribuable ne soit jamais payé car ces intervenants sont souvent insolvables ou mal assurés.

En revanche le notaire est toujours assuré. Et même si l'assurance ne peut pas jouer, le contribuable pourra se retourner contre la caisse de garantie des notaires.

La deuxième raison tient au fait que les juges sont très sévères à l'égard des notaires.

Rappelons tout d'abord que le notaire a un devoir de conseil vis-à-vis des parties à l'acte. Il doit informer ses clients sur les conséquences de l'opération immobilière qu'ils réalisent.

Le notaire n'est pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences professionnelles de son client (Cass. civ. 28 novembre 1995, n° 93-15.659). Tout juste peut-il être déchargé partiellement de l'obligation de réparation si son client est compétent ou si son client a commis une faute.

Le notaire n'est pas déchargé de son devoir de conseil, même si le client bénéficiait de la présence d'un conseiller propre comme un avocat, un conseil en gestion de patrimoine ou un expert-comptable (Cass. 1ère civ. 10 juillet 1995 n° 93-16.984) . L'idée est que le client, qui additionne le montant des honoraires, peut légitimement espérer additionner les conseils et les contrôles.

Dès lors qu'il existe le moindre indice de nature à éveiller les soupçons du notaire sur l'existence d'un risque, il doit effectuer les vérifications nécessaires (Cass. 1ère civ. 30 mai 1995 n° 93-13.758).

En matière fiscale, le notaire a un devoir de conseil très étendu, il n'a pas le droit à l'erreur ou à l'approximation (par exemple Cass. com, 12 octobre 1993, n° 91-10.417).

Le notaire n'est pas responsable d'une évolution du droit mais si la règle de droit est controversée, le notaire a l'obligation de porter à la connaissance de ses clients l'existence même de cette controverse (Cass. 1ère civ. 7 mars 2006, n° 04-10101) et même de rechercher le dernier état du droit sur le sujet, comme une jurisprudence récente (Cass. 1ère civ. 7 mars 2006 n° 04-10101).

Le devoir de conseil impose au notaire d'informer ses clients sur la portée générale et le danger global de l'opération comme le risque de non-remboursement d'un prêt par le prêteur (Cass. 1ère civ. 7 novembre 2000, n° 96-21.732) ou sur un risque particulier.

Les risques d'une opération de défiscalisation peuvent être de nature purement fiscale comme de nature financière, sachant que les opérations de défiscalisation donnent presque toujours lieu à des risques non fiscaux comme un financement à 100 % avec un prix supérieur à la valeur vénale du bien ou comme le risque d'impossibilité de louer.

Peut-on reprocher au notaire de ne pas avoir informé l'acheteur des risques d'une opération de défiscalisation ?

Il a été jugé que le notaire est fautif lorsque, connaissant le motif de défiscalisation des acheteurs, il ne les a pas informés des aléas de la défiscalisation attendue (Cass. civ. 13 décembre 2005 n° 03-11433).

Mais le notaire pourrait faire valoir, pour se défendre, qu'il ne savait pas que l'acheteur achetait le bien pour faire un schéma de défiscalisation.

En pratique, cette défense est souvent faite de mauvaise foi car il est facile pour un notaire de savoir que l'acheteur fait un schéma de défiscalisation. Cela résulte généralement d'informations qui figurent dans l'acte de vente ou dans ses annexes (que le notaire est sensé avoir lues).

A été annulée par la Cour de cassation une décision de cour d'appel qui avait refusé l'argument de l'acheteur selon lequel, le notaire, en sa qualité de notaire habituel de la société venderesse spécialisée dans ce genre de montages, ne pouvait ignorer qu'il s'agissait d'une opération de défiscalisation et qu'il se devait de fournir à l'acquéreur l'ensemble des informations concernant les obligations à respecter afin d'obtenir effectivement les objectifs fiscaux légalement prévus (Cass. civ. 30 septembre 2008, n° 06-21.183).

Or très souvent, dans les schémas de défiscalisation, les promoteurs font toujours appel au même notaire qui réalise des ventes de façon industrielle, sans recevoir les acquéreurs et en procédant par procuration.

De mon point de vue, un notaire qui rédige un acte d'un schéma de défiscalisation devrait au minimum vérifier que la défiscalisation recherchée sera bien accordée, que les conditions sont bien remplies, au moins celles devant exister au moment de la signature de l'acte, et que rien ne permet de penser que les autres conditions ne puissent pas être remplies.

Selon moi, le notaire doit vérifier la faisabilité générale du schéma au plan fiscal, juridique et économique et alerter l'acheteur sur les anomalies manifestes et sur les risques apparents, propres au schéma.

Mais le notaire ne doit pas s'arrêter là : il doit alerter l'acheteur sur les risques économiques qui se rencontrent le plus souvent dans les schémas de défiscalisation immobilière et en particulier :

- le risque lié à un financement à 100 % ;

- le risque lié au risque de remise en cause de l'avantage fiscal, même si les conditions sont respectées, par exemple parce que la législation fiscale peut évoluer arbitrairement ;

- le risque lié au fait que l'opération est fondée sur l'obtention d'un rendement locatif incertain, voir illusoire ;

- le risque lié au fait que le prix de vente est très probablement supérieur à la valeur vénale du bien parce que le prix inclut les honoraires importants des intermédiaires.

En tant que professionnel de l'immobilier et du patrimoine, les notaires connaissent pertinemment les dangers de la défiscalisation immobilière.

Le notaire supporte la charge de la preuve qu'il a bien averti ses clients. Il doit donc selon moi transmettre par écrit ses conseils et ses avertissements. De fait, en pratique, certains notaires envoient maintenant à leurs clients une note générale d'information qui résume les règles fiscales et juridiques du schéma de défiscalisation envisagé.

Une question délicate est de savoir s'il est possible d'engager la responsabilité du notaire au seul motif que l'investissement réalisé n'est pas rentable.

En principe non, le notaire n'est pas censé être un conseil en gestion du patrimoine. Il ne lui appartient pas non plus de faire un audit économique pour s'assurer de la pertinence de l'investissement.

Cela étant, il est possible de rencontrer des cas où le notaire savait en fait pertinemment que le schéma était dangereux sur un plan économique ou juridique, par exemple parce qu'il disposait d'une information importante que l'investisseur n'avait pas, soit que l'investisseur ne pouvait pas l'avoir, soit que ses compétences limitées pouvaient faire présumer son défaut de connaissance.

Dans les schémas de défiscalisation des résidences hôtelières (LMP ou DEMESSINE), il y a lieu de se demander si le notaire n'avait pas l'obligation d'informer les investisseurs du fait que la conclusion d'un bail commercial les liait à l'exploitant de manière quasi indéfinie, sauf versement d'une indemnité de résiliation très élevée.

Toujours dans la défiscalisation hôtelière, dans de nombreux cas, les lots de service n'appartiennent pas aux parties communes, ce qui constitue une grave irrégularité. Or le notaire le savait ou aurait dû le savoir puisque l'acte de vente renvoie nécessairement au règlement de copropriété. De mon point de vue, le notaire aurait dû refuser de faire l'acte de vente d'un appartement du fait de cette irrégularité. Au minimum, il aurait dû informer les investisseurs des dangers résultant de cette situation.

Une fois démontrée la faute du notaire, il faudra démontrer l'existence d'un préjudice et le lien entre la faute du notaire et le préjudice.

Si l'acheteur agit en justice pour demander la nullité ou la résolution de la vente, le notaire peut être condamné à garantir à l'acquéreur la restitution du prix par le vendeur. En effet, une des difficultés pour le vendeur, en cas d'action en nullité de la vente, c'est que le promoteurs soit insolvable et ne puisse restituer le prix. Or l'annulation de l'opération, pour être intéressante, suppose évidemment la restitution du prix versé. Dans cette situation, la condamnation du notaire à garantir la restitution du prix est particulièrement utile (voir Cass. civ 1er juin 1999 n° 97-14.063).

Dans certains cas, il est difficile pour l'acheteur de démontrer l'existence d'un préjudice parce que le préjudice n'est pas encore réalisé ou définitif, par exemple quand le prix d'achat était manifestement anormal, lorsque le rendement attendu n'est pas obtenu pour l'instant, lorsque la procédure fiscale est encore en cours.

Dans ce type de cas, il faut demander un sursis à statuer au juge, ou demander la condamnation conditionnelle du notaire : le préjudice ne sera indemnisé que lorsque sera constatée la perte définitive de l'investisseur.

L'acheteur peut également faire valoir un préjudice lié à la perte de chance de faire un investissement de qualité. Dans ce cas, seul un pourcentage du préjudice sera accordé par le juge.

En principe, le fait de devoir payer l'impôt sur le revenu n'est pas un préjudice à part entière puisque, s'il n'avait pas fait l'opération, l'investisseur aurait dû payer l'impôt.

L'investisseur peut toutefois faire valoir qu'il a perdu une chance de choisir un autre schéma de défiscalisation, cette fois de qualité, qui lui aurait permis d'obtenir l'économie d'impôt recherchée.

Dans certains cas, le notaire peut être condamné à rembourser intégralement le préjudice fiscal, sans faire appel à notion de perte de chance, s'il était possible, par un moyen légal, d'atteindre le même résultat sans payer l'impôt considéré (voir Cass. civ. 9 décembre 2010 n° 09-16531) ou encore si le préjudice fiscal résulte d'une faute directe du notaire (et non pas seulement d'un défaut de mise en garde).

Le notaire ne peut échapper à l'obligation d'indemniser son client au motif que ce dernier doit d'abord engager une procédure pour réduire son préjudice, par exemple contre le conseil en gestion du patrimoine ou contre le promoteur.

Un professionnel est toujours responsable du préjudice résultant de ses fautes, sans pouvoir exiger que sa victime engage des actions judiciaires préalables pour réduire ce préjudice.

A mon avis cette hypothèse s'applique au rappel fiscal faisant suite à une mauvaise défiscalisation. Si le notaire a commis une faute du fait d'une défiscalisation irrégulière qu'il aurait dû connaître, il doit indemniser son client sans pouvoir exiger que ce client conteste d'abord l'imposition par l'engagement d'un contentieux fiscal.

Je termine par un conseil aux acheteurs d'un produit de défiscalisation immobilière : exigez que le motif de défiscalisation soit précisé clairement dans l'acte notarié comme étant pour vous un motif déterminant. Cela permettra d'éviter toute discussion et vous permettra d'agir en justice en nullité de la vente beaucoup plus facilement. Si le notaire refuse de mettre cette mention dans l'acte, ne faites pas l'opération. Exigez également que l'officine réalise une étude fiscale et financière pour vous présenter le schéma et vous démontrer sa pertinence dans votre cas, et que cette étude figure en annexe de l'acte notarié. Si l'officine refuse de vous présenter une telle étude et si le notaire refuse que cette étude soit mise en annexe de l'acte, ne faites pas l'opération.

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