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Fiscalité du dirigeant d'entreprise

Démêlez les noeuds de la fiscalité
mercredi, 04 janvier 2012 09:59

Du nouveau sur le schéma d'apport-cession

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La présente note a pour objet de commenter deux décisions récentes du Conseil d'Etat en date du 24 août dernier portant sur la technique de l'apport-cession.

La technique de l'apport-cession permet au contribuable qui souhaite céder son entreprise d'éviter la taxation de la plus-value ou plus exactement de la reporter.

Il ne s'agit donc pas d'un schéma "miracle" car, d'une part, la plus-value n'est pas annulée, elle est seulement reportée.

Ensuite l'argent de la vente n'est pas à la disposition du contribuable, il est bloqué dans la holding et, il ne peut être sorti de la holding, sans entraîner l'imposition.

Le schéma de l'apport-cession se décompose de la manière suivante :

1. Le contribuable apporte les titres de la société qu'il détient à une société soumise à l'impôt sur les sociétés.

Ce dernier bénéficie alors du sursis d'imposition prévu par l'article 150-0 B du CGI. Grâce à ce mécanisme, la plus-value réalisée lors de l'apport n'est ni constatée ni imposée. Elle ne le sera qu'au moment de la cession, du rachat, du remboursement ou de l'annulation ultérieure des titres de la société bénéficiaire reçus en échange.

2. Une fois l'apport effectué, la société bénéficiaire peut céder les titres apportés à un tiers. Cette opération ne remet pas en cause le sursis d'imposition obtenu sur la plus-value d'apport puisque le contribuable reste propriétaire des titres de la société bénéficiaire.

La société bénéficiaire de l'apport dispose alors des liquidités résultant de la vente des titres qu'elle a reçu en apport. Mais elle ne peut les attribuer à l'associé puisque dans ce cas le report prend fin.

Sous le régime antérieur du report d'imposition, l'administration a tenté de contester ce type d'opérations sur le fondement de l'abus de droit (LPF, art. L 64).

Le Conseil d'Etat a alors jugé que "le placement en report d'imposition d'une plus-value réalisée par un contribuable lors de l'apport de titres à une société qu'il contrôle et qui a été suivi de leur cession par cette société est constitutif d'un abus de droit s'il s'agit d'un montage ayant pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres tout en restant détenteur des titres de la société reçus en échange lors de l'apport ; qu'il n'a en revanche pas ce caractère s'il ressort de l'ensemble de l'opération que cette société a, conformément à son objet, effectivement réinvesti le produit de ces cessions dans une activité économique" (CE, 8 octobre 2010, n° 301934, Bazire).

Il ressort de cet arrêt qu'une opération d'apport-cession soumise sur option au report d'imposition de la plus-value est constitutive d'un abus de droit dès lors que les deux conditions cumulatives suivantes sont remplies :

- l'opération permet au contribuable de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession des titres ; autrement dit, l'apporteur ne doit pas pouvoir être considéré comme s'étant approprié le produit de la vente ;

- une part significative du produit de cession n'a pas fait pas l'objet d'un réinvestissement dans une activité économique.

Deux décisions du Conseil d'Etat en date du 24 août 2011 apportent des précisions sur l'appréciation de ces conditions.

En premier lieu l'opération doit permettre au contribuable de disposer effectivement des liquidités dégagées par la cession des titres apportés. Le Conseil d'Etat rappelle à cet égard que le transfert effectif des sommes sur le compte du contribuable n'est pas nécessaire. Il suffit simplement que le contribuable puisse les appréhender par l'intermédiaire de la holding.

Selon moi, la présentation du Conseil d'Etat de la condition est fausse. Il ne s'agit pas d'une réelle appréhension des fonds mais plutôt d'un contrôle indirect.

La première décision (CE, 24 août 2011, n° 314579) visait un couple marié qui a apporté des actions d'une SA à une SCI dont il détenait seulement la moitié des parts. L'autre moitié était détenue par un autre couple qui était également possesseur du reste des actions de la SA et qui a procédé, au même moment, au même apport. La plus-value réalisée lors de l'apport a été placée en report d'imposition. Peu de temps après, la SCI a revendu les actions de la SA pour leur valeur d'apport.

Le Conseil d'Etat a alors jugé "qu'eu égard au caractère conjoint de l'apport, de la cession, du réemploi et de la gestion du produit de cette cession, ce produit pouvait être appréhendé par les contribuables".

A contrario, cela revient implicitement à juger qu'en l'absence de contrôle de la société bénéficiaire de l'apport et de toute possibilité d'appréhension des sommes, le contribuable ne pourrait se voir opposer pour ce seul motif un abus de droit.

En toute hypothèse, pour le Conseil d'Etat, si la condition d'appréhension du produit de cession est remplie, l'opération ne constitue pas un abus de droit si le produit dégagé est réinvesti dans une activité économique.

En effet, pour le Conseil d'Etat le schéma d'apport-cession contrevient à l'esprit du texte du report. Ce régime du report a été institué pour éviter aux contribuables d'avoir à payer l'impôt dans une situation où ils ne détiennent pas les liquidité pour payer l'impôt.

Voilà pourquoi, le Conseil d'Etat veut s'assurer que le contribuable n'a pas récupéré de facto les fonds suite à l'apport. Il exige un réinvestissement professionnel si le schéma d'apport-vente manifeste comme seul objectif la volonté de bénéficier du report fiscal, ce qui est présumé quand la vente est faite juste après l'apport.

Dans la première espèce (CE, 24 août 2011, n° 314579), la SCI qui avait pour objet la gestion d'immeubles, a revendu sa participation dans la SA pour le prix d'apport et réinvesti le produit de cette cession dans l'acquisition de parts de SCI et d'un immeuble. Le Conseil d'Etat a alors retenu l'abus de droit aux motifs que le contribuable n'a pas soutenu "que ces investissements immobiliers réalisés par une SCI à caractère patrimonial s'inscrivaient dans le cadre d'une activité économique poursuivie par les porteurs de parts de la SCI".

Dans la seconde espèce (CE, 24 août 2011, n° 316928), le contribuable soutenait que la création de la SCI par apport-échange de titres d'une SARL a permis la réalisation d'investissements à caractère économique. Cependant, le Conseil d'Etat, relevant que "15 % seulement des produits de la cession ont été réinvestis dans des prises de participations dans deux SARL exploitant des bars-restaurants" a jugé que le contribuable "n'établit pas que la SCI a effectivement réinvesti le produit des cessions dans une activité économique".

Cet arrêt apporte des éléments chiffrés sur l'appréciation de la proportion du prix de cession qui doit être réinvesti dans une activité économique. En l'espèce, 15 % ont été jugé insuffisant. Dans le même sens, un arrêt du 3 février 2011 avait jugé que les sommes réinvesties par la société bénéficiaire de l'apport devaient représenter une "part significative" du produit de la cession de titres apportés et qu'en l'espèce 4 % était insuffisant (CE, 3 février 2011, n° 329839).

Cet arrêt confirme également que le placement d'une partie du produit de la cession par la société bénéficiaire de l'apport sur des compte courant dans les sociétés dans lesquelles elle a pris une participation ne peuvent pas être regardés comme des investissements dans une activité économique "en l'absence de preuve de ce qu'ils ont été employés au financement de travaux ou d'acquisition d'éléments d'actif de ces sociétés".

Tous ces arrêts ont été rendus sous le régime antérieur du report d'imposition qui concerne les opérations réalisées avant le 1er janvier 2000 (CGI, art. 92 B, II et 160, I ter-4 en vigueur avant le 1er janvier 2000). Le contribuable pouvait alors choisir de bénéficier ou non du report d'imposition.

Depuis le 1er janvier 2000, les plus-values réalisées lors d'un apport de titre à une société assujettie à l'impôt sur les sociétés bénéficient automatiquement d'un sursis d'imposition (CGI, art. 150-0 B et 150-0 D, 9 et 10). Le contribuable n'a donc plus la faculté de choisir d'être imposé immédiatement.

Certains auteurs considèrent que ce dispositif de sursis d'imposition n'est plus susceptible d'abus puisque le contribuable ne dispose plus du choix d'être imposé immédiatement ou non, lorsqu'il apporte des titres à une société soumise à l'IS. Faute de choix pour un régime, il n'y a pas d'abus de droit. L'abus de droit suppose en effet un choix volontaire et le contribuable est en droit de choisir la voie la moins imposée.

Ces auteurs s'appuie notamment sur deux avis du Comité de l'abus de droit qui ont estimé que le régime du sursis d'imposition "ne laisse désormais aucun autre choix au contribuable qui souhaiterait être immédiatement imposé que de procéder à une cession directe des titres, l'opération d'échange étant en effet traitée comme une opération intercalaire ne donnant pas lieu à liquidation de l'impôt sur le revenu, la plus-value d'échange étant imposée ultérieurement, notamment lors de la cession des titres reçus en échange. Il s'ensuit que le bénéfice de ce dispositif légal n'est pas, dans les circonstances de l'espèce, constitutif d'un abus de droit" (aff. 2004-63 et 2004-64).

Le Conseil d'Etat n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer sur la question de l'abus de droit en cas d'application du nouveau régime du sursis d'imposition.

Selon moi, il est possible de s'opposer à l'application de l'abus de roit en cas de schéma d'apport-cession dans le nouveau régime du sursis si la création de la société n'est pas fictive et correspond à une réelle volonté du contribuable de gérer les fonds par l'intermédiaire de la société. En effet dans ce cas, le contribuable n'a pas le choix, il est obligé de bénéficier du sursis au moment où il crée la société. Les services fiscaux ne peuvent pas selon moi l'obliger à vendre avant l'apport au motif que cet apport avant la vente serait abusif.

La situation est différente avec le régime du report optionnel où le contribuable choisit de placer l'opération sous le régime du report. Le choix pour le régime de report poursuit nécessairement un motif exclusivement fiscal puisqu'il s'agit d'ailleurs d'un choix fiscal alors que le contribuable qui réaliser l'apport ne réalise pas un choix fiscal pour le bénéfice du sursis. Il est tenu d'en profiter.

Rappelons les conseils pratiques afin d'écarter tous risque d'abus de droit :

1. Prévoir un délai assez long entre l'apport et la cession (au minimum deux ans) pour écarter la présomption du motif fiscal.

2. Si ce délai ne peut pas être respecté, il faut s'assurer que le produit de la cession des titres par la société bénéficiaire de l'apport soit réinvesti, dans un délai raisonnable, dans une activité professionnelle.

Si ces deux hypothèses ne peuvent pas être respectées, il est préférable de renoncer au schéma de l'apport-cession. Mais d'autres solutions existent comme la donation-vente.

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