Il manque encore quelques textes d'application mais il est d'ores et déjà prévu que ce nouveau droit sera applicable dès le 1er mars 2010.
Dès cette date, il sera possible d'invoquer "une question prioritaire de constitutionnalité"(QPC) dans les instances en cours.
Mais ce nouveau droit sera très encadré.
Il faut d'abord qu'il y ait une instance en cours et donc un litige.
Il n'est pas possible d'agir directement pour demander l'annulation d'une loi.
Ensuite, pour obtenir gain de cause, le justiciable devra d'abord convaincre le juge de la procédure en cours qu'il existe un doute sérieux sur la constitutionnalité de la loi contestée.
Le texte indique comme condition d'acception de la QPC : "La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux".
Le juge du fonds, s'il est convaincu du caractère sérieux de l'argument, devra sursoir à statuer puis saisir soit le Conseil d'Etat, soit la Cour de Cassation pour leur proposer de transmettre la question devant le Conseil Constitutionnel. Ces hautes juridictions devront en principe se prononcer dans le délai de 3 mois en vérifiant l'existence du caractère sérieux.
Le conseil constitutionnel doit ensuite statuer dans un délai de 3 mois.
C'est un peu le parcours du combattant.
En bout de course, toutefois le résultat sera important : le conseil constitutionnel pourra annuler la disposition contestée, de telle sorte qu'elle deviendra inapplicable pour tous les citoyens.
Sur le plan fiscal, une taxe peut être déclarée illégale par l'action d'un citoyenqui, par exemple, aura fait une réclamation pour contester l'impôt qu'il aura versé. Ensuite, tous les contribuables intéressés pourront agir pour obtenir le remboursement de cette taxe sur le fondement de la décision du conseil constitutionnel.
Jusqu'à présent, les simples citoyens n'avaient pas le droit d'invoquer la Constitution pour s'opposer à une loi, ce qui était d'ailleurs un vrai scandale. A quoi servent une constitution et une déclaration des droits de l'homme si le simple citoyen ne peut les invoquer devant le juge ?
Il existait seulement un contrôle de constitutionnalité s'exerçant avant la publication de la loi. Notamment les parlementaires pouvaient saisir le Conseil Constitutionnel.
Mais en pratique, ils ne le faisaient pas systématiquement, de telle sorte que de nombreux textes inconstitutionnels sont aujourd'hui en vigueur.
Il résulte déjà cependant de ce premier type de contrôle un grand nombre de décisions du Conseil Constitutionnel, notamment en matière fiscale.
Ces décisions énoncent des principes qui serviront à tous les avocats pour motiver leurs prochains recours.
C'est ainsi que le Conseil Constitutionnel a récemment censuré certains textes fiscaux de la loi de finances pour 2010.
La taxe carbone a été jugée contraire au principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant l'impôt car les grosses entreprises industrielles en étaient dispensées dans l'attente de l'instauration ultérieure d'une autre taxe :
"82. Considérant que des réductions de taux de contribution carbone ou des tarifications spécifiques peuvent être justifiées par la poursuite d'un intérêt général, tel que la sauvegarde de la compétitivité de secteurs économiques exposés à la concurrence internationale ; que l'exemption totale de la contribution peut être justifiée si les secteurs économiques dont il s'agit sont spécifiquement mis à contribution par un dispositif particulier ; qu'en l'espèce, si certaines des entreprises exemptées du paiement de la contribution carbone sont soumises au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans l'Union européenne, il est constant que ces quotas sont actuellement attribués à titre gratuit et que le régime des quotas payants n'entrera en vigueur qu'en 2013 et ce, progressivement jusqu'en 2027 ; qu'en conséquence, 93 % des émissions de dioxyde de carbone d'origine industrielle, hors carburant, seront totalement exonérées de contribution carbone ; que les activités assujetties à la contribution carbone représenteront moins de la moitié de la totalité des émissions de gaz à effet de serre ; que la contribution carbone portera essentiellement sur les carburants et les produits de chauffage qui ne sont que l'une des sources d'émission de dioxyde de carbone ; que, par leur importance, les régimes d'exemption totale institués par l'article 7 de la loi déférée sont contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;"
De même, a été déclarée partiellement inconstitutionnelle, la nouvelle contribution foncière, qui reprenait le principe de la taxe professionnelle d'une taxation des professions libérale employant moins de 5 salariés, sur la base d'un pourcentage de chiffre d'affaires, alors que les professions commerciales et les entreprises assujetties à l'impôt sur les sociétés ayant moins de 5 salariés échappaient à l'impôt.
Dans ce dernier cas, le juge constitutionnel a constaté une rupture de l'égalité devant l'impôt en rappelant que le législateur est certes en droit de mettre en place des régimes fiscaux différenciés mais sous réserve que ce soit fait sur la base de critères objectifs et rationnels justifiés par les buts poursuivis par la loi. Les différences de traitement sont possibles mais à condition qu'elles soient fondées sur des buts légitimes et à condition que ces différences soient bien adaptés à ces buts.
Ce n'est pas parce que des contribuables se trouvent dans des situations différentes qu'il est possible de les taxer différemment. Encore faut-il que la différence de régime fiscal soit conforme aux buts légitimes du texte fiscal. Par exemple, il ne serait pas justifié de faire payer plus d'impôt sur le revenu aux contribuables ayant les yeux bleus alors même qu'il existe bien une différence objective entre les contribuables ayant les yeux bleus et les autres.
Quels sont les principes constitutionnels qui pourront être invoqués dans le cadre des litiges fiscaux ?
Tout d'abord, le principe de non-discrimination, encore appelé égalité devant l'impôt. C'est bien ce principe qui a été pris en compte par le Conseil Constitutionnel pour censurer la taxe carbone ou la nouvelle contribution foncière.
Mais il y aussi d'autres principes moins connus qui pourront être invoqués, notammentcelui de la nécessaire intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Autrement dit, si un texte fiscal est trop compliqué et incompréhensible, il est inconstitutionnel. C'est ainsi que l'ancien régime du plafonnement des niches fiscales avait été annulé par le conseil constitutionnel et on peut se demander si le nouveau régime ne pourrait pas lui-même être contesté.
Et les textes fiscaux incompréhensibles, ce n'est pas ce qui manque !
A mon avis, il faut aussi rajouter le principe de sécurité juridique. Ce principe n'a pas encore été formellement explicité par le conseil constitutionnel mais il a déjà été énoncé par la cour européenne des droits de l'homme et on voit mal le conseil constitutionnel ne pas le prendre en compte.
Enfin, on peut citer le principe interdisant les impôts spoliateurs et imposant une fiscalité adaptée aux capacités de chacun.
De mon point de vue, il ne fait pas de doute que les avocats fiscalistes vont désormais utiliser au maximum les principes constitutionnels pour s'opposer à de nombreuses dispositions fiscales, même très anciennes.
Par exemple, à mon avis, il est possible aujourd'hui d'attaquer la légalité des impôts locaux (taxe foncière et taxe d'habitation), à la fois discriminatoires et incompréhensibles.
De même, l'ISF me paraît un impôt discriminatoire puisque le patrimoine professionnel est exonéré et que le domicile est taxé, alors que le conseil constitutionnel a déjà jugé que cet impôt, compte tenu de sa nature, ne devait porter que sur les biens procurant des revenus.
En matière d'ISF, rappelons également que le conseil constitutionnel a déjà considéré que le bouclier fiscal était un mécanisme valide dans la mesure où il évite à cet impôt de devenir spoliateur. Autrement dit, le bouclier fiscal ne pourra être abrogé par la gauche si elle reprend le pouvoir.
En conclusion, j'incite tous les contribuables motivés à consulter leur avocat fiscaliste préféré pour engager des contentieux fiscaux sur la base de ces principes constitutionnels.