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lundi, 21 septembre 2015 09:41

Chantage et menaces

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Lorsqu'une personne est en conflit avec une entreprise, peut-elle la menacer de poursuites judiciaires, pour obtenir le paiement de ce qu'elle lui doit ou l'indemnisation d'un préjudice qu'elle lui a fait subir ?

Est-il possible de menacer l'entreprise de la critiquer sur Internet ?

N'est-ce pas du chantage qui peut donner lieu à des poursuites pénales ?

Cette question intéresse notamment les victimes de la défiscalisation. Si un promoteur a vendu des appartements dans une résidence hôtelière et que les promesses faites au moment de la commercialisation ne sont pas réalisées, l'investisseur peut être tenté de menacer le promoteur d'une action en justice contre lui ou plus simplement d'aller sur les forum d'Internet pour évoquer la tromperie dont il a été victime.

 

La diffusion d'informations objectives n'est pas répréhensible

La menace de pourrir la réputation d'un professionnel sur Internet peut être très efficace. Un promoteur ou un vendeur de produits de défiscalisation qui trompe ses clients peut perdre un chiffre d'affaires important s'il fait l'objet de commentaires critiques sur Internet.

Il faut d'abord bien distinguer la menace d'une communication de la communication sans menace.

Si je relate sur Internet des faits objectifs sur le comportement d'une entreprise, je ne risque aucune sanction. Il faut simplement éviter les propos mensongers, insultants ou même simplement agressifs.

Mais la menace d'une action d'information sur Internet peut dans certains cas être considérés comme du chantage.

 

Définition du chantage

Le délit de chantage est le fait d’obtenir, en menaçant de révéler ou d’imputer des faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque (art. 312-10 Code pénal).

Donc le chantage c'est le fait de monnayer son silence.

La simple tentative de chantage est illicite. Donc peu importe si la menace n'a pas été suivie d'effet.

Peu importe également que la menace porte sur les faits vrais ou faux, mais elle doit porter atteinte à la réputation.

 

Il est immoral de révéler un secret légitime et il est immoral de cacher un secret illégitime

Toutes les menaces ne sont pas illicites et punissables. Certaines menaces sont même parfaitement légitimes. La difficulté est de définir dans quel cas une menace est légitime.

En effet le délit de chantage suppose un élément moral, une intention coupable. Et la définition de l'intention coupable peut prêter à discussion. Les juges disposent d'une certaine marge d'appréciation à ce niveau.

Cela pose la question de savoir en quoi le chantage est-il condamnable au plan moral et pourquoi est-il interdit par le code pénal. N'est-ce pas une atteinte à la liberté d'expression ?

Selon moi, l'élément moralement condamnable dans le chantage, c'est la volonté de monnayer un secret qui, soit devrait rester secret, soit au contraire devrait être révélé.

Dans les deux cas, ce qui est immoral c'est d'envisager un comportement condamnable : révéler le secret dans un cas, ne pas le révéler dans un autre.

Lorsque le chantage porte sur un secret légitime, il est immoral d'envisager de le révéler en l'absence de paiement.

Lorsque le chantage porte sur un secret illégitime, il est au contraire immoral de ne pas le révéler en cas de paiement.

Certains secrets sont légitimement des secrets, par exemple s'il s'agit de la vie privée d'une personne. Donc le fait de menacer de les révéler est immoral, et encore plus si la menace de révélation est monnayée.

Mais certains secrets sont au contraire illégitimes, s'il s'agit d'une information légitimement utile aux personnes à qui on menace de la révéler. Dans ce cas, il est à l'inverse immoral de la garder secrète et le fait de monnayer son secret aggrave le caractère immoral du comportement, puisque grâce au chantage, le secret n'est pas révélé, au détriment de ceux qui pouvaient légitimement avoir besoin de l'information.

Par exemple, est constitutif de chantage la menace de dénonciation aux services fiscaux (Cass.crim. 8 novembre 2011, n° 10-82.021). Ici le secret (la fraude fiscale) n'est pas légitime.

Mais selon moi, dans ce deuxième cas, la légitimité des poursuites pénales est nettement moins flagrante, notamment parce que la victime du chantage a commis des faits répréhensibles et ne mérite sans doute pas la protection du droit pénal.

 

La menace de l'action en justice n'est pas un chantage

En principe la menace d'une action en justice n'est pas constitutif d'un délit de chantage, mais sous certaines conditions.

En effet le droit d'agir en justice aboutit à révéler un secret puisque la justice est publique, mais de manière limitée et dans un but parfaitement légitime puisqu'il s'agit de faire valoir ses droits.

Il faut selon moi distinguer l'action pénale de l'action civile.

En général, la plupart des actions civiles vise à obtenir une somme d'argent, soit une somme due par contrat, soit des dommages et intérêts. C'est un litige privé.

La révélation du secret se fait uniquement dans l'intérêt de celui qui le révèle et, le cas échéant, je suis l'unique victime de l'absence de révélation.

Menacer d'une action en justice dans cette hypothèse vise à envisager de mettre en œuvre une action parfaitement légitime et prévue par la loi.

Obtenir un paiement contre cette menace est conforme à l'esprit même de la loi. Si la loi prévoit l'action en justice pour obtenir un paiement, c'est notamment en espérant que les personnes concernées paieront spontanément, sans qu'il soit nécessaire d'agir en justice.

La menace de l'intervention du juge est une arme de dissuasion légitime car les juges ne prétendent pas avoir le monopole de la résolution des litiges. Il faut éviter l'encombrement des tribunaux et heureusement la plupart des litiges se règlent à l'amiable ou par transaction. L'objet même d'une transaction est de mettre fin à la menace d'une action en justice en échange d'un paiement. Si la menace d'une action en justice était un délit, la transaction serait illicite.

Il me semble que la menace d'une action pénale est plus discutable car la société a alors intérêt à ce que le délit ou le crime, dont on menace la révélation, soit révélé. Si je suis volé et que, contre une somme d'argent, je monnaye l'absence de dépôt de plainte, je laisse le voleur impuni et disponible pour commettre un nouveau vol.

Si je renonce à une action civile, je renonce à un droit personnel. Si je renonce à une action pénale, je prive la société de son droit de faire respecter la loi.

Mais il faut reconnaître que la distinction que je propose est plutôt théorique notamment quand les actions pénales existent surtout pour permettre aux victimes d'avoir un moyen d'action efficace pour se défendre. C'est le cas par exemple des délits économiques.

Il me paraît donc légitime, pour la victime, de menacer de poursuites pénales un promoteur ou un conseil en gestion de patrimoine s'ils se sont rendus coupables de tromperie ou de publicité mensongère.

En général, les juges admettent qu'il n'y a pas de chantage en cas de menace d'une action pénale, du moment que l'auteur de la menace est une victime qui vise à obtenir la mise en œuvre d'un droit légitime.

Précisons pour être complet qu'il n'est pas possible légalement de renoncer à une action pénale. Il est en revanche possible de renoncer à se constituer partie civile et à réclamer des dommages et intérêts. Autrement dit, si un accord intervient entre l'entreprise et la victime, il ne peut porter que sur la renonciation à demander des dommages et intérêts. Mais, en pratique, dans les litiges économiques, l'indemnisation du préjudice supprime presque toujours le risque d'action pénale.

 

La menace de l'action en justice peut être un chantage dans certains cas

La menace d'une action en justice peut toutefois être un chantage dans certains cas.

C'est le cas si celui qui menace de révéler les faits condamnables n'est pas la victime des faits reprochés.

C'est le cas si la menace est excessive, pour obtenir une réparation hors de proportion avec l'importance du dommage.

 

La menace d'une plainte pour chantage

Les entreprises menacées font souvent peur en menaçant de porter plainte pour chantage.

Certes, la menace d'une plainte pour chantage n'est pas un chantage.

Mais en tout état de cause, lorsqu'une entreprise vraiment malhonnête est victime d'un chantage, elle aura quelques difficultés à obtenir gain de cause en justice et les juges auront une tendance naturelle à interpréter les textes pour refuser de condamner la victime. L'action judicaire pour chantage risque donc d'être un relatif échec, surtout si elle aboutit à développer la publicité autour des faits reprochés.

 

Conseils pratiques

Si vous êtes victime de l'action dommageable d'une entreprise, vous êtes tout à fait en droit de la menacer officiellement d'une action en justice. Ce n'est pas un chantage sous réserve de réclamer le respect en votre faveur d'un droit légitime.

S'agissant de la seule menace de révéler au public, par exemple sur Internet, des faits considérés comme répréhensibles, il existe en revanche un risque réel de constitution du délit de chantage.

En pratique, selon moi, il est plus judicieux d'éviter toute menace sur ce point mais au contraire de passer à l'action en procédant à la révélation des faits, sans chercher à monnayer l'absence de diffusion.

Attention dans ce cas à éviter toute présentation injurieuse ou même simplement dénigrante. Il faut impérativement s'en tenir aux faits, sans les qualifier, avec un minimum d'objectivité et en restant modéré.

La diffusion de l'information sur Internet peut notamment poursuivre le but légitime de rechercher d'autres victimes, notamment en vue de se coordonner pour permettre l'action en justice. L'objectif légitime peut également être de rechercher l'assistance de tiers.

Rien n'interdit ensuite de conclure une transaction avec l'entreprise en s'engageant à faire cesser cette diffusion.

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