Ces deux réformes sont présentées comme réalisées dans l'intérêt direct des contribuables, ce qui est faux.
Aucun contribuable ne demandait ces réformes qui ne présentent en fait pour eux aucun intérêt flagrant.
Le prélèvement à la source ne sert à rien au contribuable.
Il existe déjà un régime de la mensualisation qui permet de payer l'impôt chaque mois. Ce régime avait le mérite de laisser au contribuable une forme de liberté qu'il va perdre avec le prélèvement à la source.
Le rattrapage du décalage d'un an présente également peu d'intérêt pour le contribuable.
Cette réforme consiste à faire payer l'année n l'impôt relatif aux revenus de l'année n, contrairement à la situation actuelle où l'impôt de l'année n est payé en n+1.
Cela peut être présenté comme un moyen d'éviter à certains contribuables la mauvaise surprise du décalage d'un an.
L'intérêt est discutable. A cause de la réforme, les contribuables devront payer plus tôt l'impôt sur leurs revenus. Cela évitera certes certaines déconvenues pour les imprévoyants, mais cela privera aussi ces contribuables d'une avance de trésorerie parfois utile.
En réalité ces deux réformes ont été faites dans l'intérêt de l'Etat et pour préparer d'autres réformes ultérieures.
Tout d'abord le prélèvement à la source permet un taux de recouvrement plus élevé. Prélevé à la source, l'impôt peut être plus difficilement évité. Tant mieux pour l'Etat.
Ce dispositif présente aussi l'intérêt de cacher l'impôt au citoyen.
Le prélèvement à la source rend en effet l'impôt plus indolore, comme les cotisations sociales.
Ce dernier argument est très critiquable car il est contraire au principe du consentement à l'impôt. L'Etat ne devrait pas cacher l'impôt. Il le fait déjà, par exemple en "oubliant" d'indiquer sur l'avis d'imposition le taux marginal applicable au contribuable.
Ensuite, la suppression du décalage d'un an va permettre ultérieurement de réaliser une réforme de l'impôt sur le revenu, en le fusionnant avec la CSG.
A titre personnel, je suis favorable à cette fusion, à condition qu'elle n'aboutisse pas à supprimer le quotient familial, ce qui malheureusement est le plus vraisemblable.
Pour obtenir la suppression du décalage d'un an, il a été décidé d'instaurer une année blanche.
Si le projet est mis en œuvre, en 2017, les français paieront l'impôt sur le revenu de 2016, comme les années précédentes. Mais en 2018, les français paieront uniquement l'impôt sur le revenu de l'année 2018.
La suppression du décalage d'un an est obtenue par la non-imposition des revenus de l'année 2017. C'est l'année blanche.
Le gouvernement fait tout pour cacher l'existence de cette année blanche.
D'abord le gouvernement indique qu'il n'y a pas d'année blanche en faisant valoir l'argument de trésorerie. Sur un plan financier, effectivement, il n'y aura pas d'année sans impôt.
Si l'impôt sur les revenus de l'année 2017 ne sera jamais recouvré, ce n'est pas gênant pour l'Etat qui se rattrapera puisqu'il touchera une année plus tôt l'impôt de l'année 2018.
Il en va de même pour les contribuables qui devront bien payer l'impôt 2016 en 2017 et l'impôt 2018 en 2018. Peux eux non plus, il n'y aura pas d'année sans impôt.
Mais l'absence d'année sans impôt à payer n'empêche pas de constater que les revenus de l'année 2017 ne seront jamais taxés. Donc, en fait, mais si, il y a bien une année blanche. Ensuite le gouvernement a prévu plusieurs techniques pour cacher l'année blanche.
D'abord, il n'est pas question de reconnaître officiellement que les revenus 2017 ne seront pas imposés. Donc pour arriver au même résultat, mais sans le dire, l'administration a prévu d'obliger le contribuable à déclarer ses revenus 2017 comme d'habitude, puis de lui accorder un crédit d'impôt, pompeusement appelé le crédit d'impôt exceptionnel de modernisation du recouvrement. Ce crédit sera égal à l'impôt dû. Donc cela aboutit bien à l'exonération, mais il ne faut pas dire.
Mais pourquoi ces cachotteries ?
Il s'agit d'éviter que les contribuables en profitent pour majorer artificiellement les revenus de l'année 2017 puisqu'ils ne seront pas taxés.
Si la réforme est mise en œuvre, l'année 2017 risque en effet d'être l'année record de l'évasion fiscale. Le grand jeu pour tous les contribuables sera notamment de positionner sur 2017 des revenus qui se rattachent plutôt à 2018. L'intérêt d'un tel comportement est considérable puisqu'il permet d'éviter l'impôt. L'Etat sera le grand perdant car il risque de constater une perte importante du rendement de l'impôt au titre des revenus 2018 et des années ultérieures, à cause de l'anticipation artificielle des revenus sur l'année 2017.
Pour s'opposer à cette évasion, il est vrai que les hauts fonctionnaires de Bercy ont prévu une batterie de mesures anti-abus. L'ensemble de ces règles forme une belle usine à gaz délirante qui donnera lieu nécessairement à de nombreux conflits entre les agents du contrôle fiscal et les contribuables, comme c'est l'usage lorsque les règles fiscales sont complexes, et incompréhensibles pour les citoyens n'ayant pas eu la chance de faire l'Ecole Nationale d'Administration ou Polytechnique. C'est un grand classique du droit fiscal à la française.
Ces mesures n'empêcheront pas les petits malins, qui ont les moyens de payer les meilleurs conseils, de profiter de l'année blanche pour réduire leurs impôts.
Il est certes prévu que les revenus soit disant "exceptionnels", comme les plus-values et les dividendes, ne seront pas concernés par l'année blanche.
Cette exclusion est compréhensible pour lutter contre l'évasion fiscale, mais elle est grossièrement injuste, et accessoirement parfaitement anticonstitutionnelle.
En effet, elle est contraire au principe d'égalité des citoyens devant l'impôt. Les contribuables dont les revenus sont constitués de plus-value et de dividendes sont désavantagés par rapport à ceux qui se contentent d'avoir des revenus "courants".
Comme souvent, le filet anti-abus laisse passer la plupart des poissons trop malins mais attrape des poissons sans malice.
Or il y a selon moi un moyen technique relativement simple pour obtenir la suppression du décalage d'un an, sans provoquer ce risque d'évasion fiscale record causé par l'année blanche.
La solution consiste à faire deux demi-années d'imposition la même année.
L'année 2018, les contribuables paieraient un impôt égal à 50 % de l'impôt normal dû sur les revenus de l'année 2017 et 50 % de l'impôt normal dû sur les revenus de l'année 2018, sans aucun autre retraitement.
Cette solution a le mérite d'être simple et compréhensible.
Elle évite d'avoir à faire une distinction entre les revenus courants et les revenus exceptionnels. Du coup elle respecte le principe d'égalité devant l'impôt. Elle n'est pas discriminatoire et elle est constitutionnelle.
Certes, elle n'empêcherait pas totalement les schémas d'évasion. Les petits malins pourront être tentés quand même de provoquer artificiellement la réalisation anticipée de certains revenus ou de certaines plus-values pour profiter de la remise de 50 % sur l'impôt. Le délai de mise en œuvre des techniques d'évasion est même doublé par rapport au projet actuel, puisque il serait porté à deux ans, et les opérations d'évasion pourront de plus porter sur les plus-values.
Cela étant, le gain fiscal serait nettement moins attractif puisqu'il s'agirait d'une remise de 50 % au lieu d'une exonération.
En pratique, compte tenu de la psychologie du contribuable, la remise de 50 % va nécessairement susciter beaucoup moins d'intérêt que le régime d'exonération intégrale, de sorte que les tentatives d'optimisations douteuses seront beaucoup moins nombreuses. En tout état de cause, ces anticipations auront au moins le mérite de rapporter immédiatement des sous à l'Etat.
Les services fiscaux pourraient alors se contenter d'utiliser la théorie de l'abus de droit pour lutter contre les plus agressifs de ces schémas et il ne serait pas nécessaire de mettre en œuvre les dispositifs anti-abus de type "usine à gaz" prévus dans l'actuel projet de réforme.
En conclusion et de manière générale, je voudrais en profiter pour protester contre l'absence sérieuse de concertation et de compétence qui prévaut en matière de réforme fiscale.
Les réformes fiscales sont décidées par des petits comités de hauts fonctionnaires peu au fait des réalités fiscales du terrain. En général, les aspects techniques sont manifestement sous-estimés au profit des desiderata des ministres. Ensuite les parlementaires les discutent et les votent, mais le plus souvent sans procéder à l'audition des techniciens.
L'enfer fiscal des français est pavé des bonnes intentions de nos politiciens, de droite comme de gauche, et de certains économistes, parfaitement incompétents en matière fiscale. Les usines à gaz fiscales sont généralement le fruit de cet imaginaire débordant.
Parmi les délires récents citons la taxe carbone, évitée de justesse grâce au Conseil Constitutionnel qui a censuré un dispositif incompréhensible. Le bouclier fiscal, souvent critiqué pour des raisons idéologiques, était d'abord une grosse ânerie technique. Le régime des plus-values sur titres, instauré par François Hollande en début de mandat, a révélé un total amateurisme.
Je me permets donc de suggérer très respectueusement à tous ces grands architectes de la fiscalité de prendre en compte un peu plus les avis des petits plombiers de l'impôt.