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Démêlez les noeuds de la fiscalité
dimanche, 13 novembre 2011 14:56

Une simulation chiffrée trompeuse condamnée

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La Cour de cassation vient de rendre une décision très importante qui ne manquera pas de faire jurisprudence (cass. 3ème civ. 18 octobre 2011 n° 10-16182 sur CA Bordeaux du 9 février 2010 n° 08/02262).

C'est en effet la première fois qu'elle donne un effet juridique à la simulation financière donnée au client d'un schéma de défiscalisation pour le convaincre d'acheter le bien proposé.

La cour valide le jugement qui condamne l'officine de défiscalisation et le promoteur à indemniser l'acheteur d'un tel schéma, à hauteur de 200 000 euros, parce que l'acheteur a été trompé par la simulation chiffrée.

L'officine avait fait croire à l'acheteur qu'il pourrait revendre son bien, après 5 ans, à un prix fixé dans la simulation.

Je propose de rappeler les faits avant de faire une analyse de l'arrêt. Je joins en annexe le texte de la décision de la cour de cassation.

 

Les faits

Pour connaître les fais je recommande la lecture de la décision de la cour d'appel de Bordeaux, particulièrement explicite.

M. Jean-Michel Z est démarché par la SARL CABINET GUINOT, gestionnaire de patrimoine spécialisé dans les produits de défiscalisation.

A cette occasion, le commercial du cabinet remet à M. Z un document intitulé "simulation package LMP".

Le document se présente sous la forme d'un tableau excel de 18 colonnes et de plus de 20 lignes présentant une opération complexe vantant la rentabilité économique d'un achat, financé par emprunt, de cinq chambres données à bail dans un immeuble vendu en l'état futur d'achèvement. Le prix s'élève à près de 2,5 MF.

Le tableau comporte une colonne indiquant la valeur de cession du bien au fil des ans en fonction de l'évolution de l'indice INSEE de la construction.

Le vendeur du bien est le groupe COLISEE qui a mandaté le CABINET GUINOT. Les chambres vendues se situent dans une maison de retraite pour personnes agées dépendantes. Le groupe COLISEE est constitué par une holding, la société COLISEE PATRIMOINE qui est une société de promotion immobilière. Cette société détient une filiale, la SARL RESIDENCE LES VIGNES, en charge de la commercialisation et de l'exploitation.

Suivant les conseils du CABINET GUINOT, M. Z constitue une société pour faire l'investissement, l'EURL JMLD.

La SARL RESIDENCE LES VIGNES et l'EURL JMLD PATRIMOINE signent un contrat de réservation prévoyant notamment une priorité de rachat au profit du groupe COLISEE PATRIMOINE.

Le 16 juilllet 2001, l'acte de vente est signé devant notaire, conformément à une procuration donnée par la société à l'étude notariale.

Le 28 juillet 2001, M. Z, constatant que l'acte ne comporte pas d'engagement de rachat minimum, conteste la vente.

Le 3 septembre 2001, le CABINET GUINOT adresse à M. Z un engagement de rachat minimum que ce dernier refuse, les valeurs de rachat étant inférieures à celles mentionnées sur le tableau de simulation présenté lors de la signature de l'acte de réservation.

Cinq ans plus tard, lorsque M. Z notifie sa demande de rachat pour un prix d'environ 455 000 euros, la SARL RESIDENCE LES VIGNES lui oppose qu'aucune obligation de rachat à prix déterminé n'a été souscrite.

C'est dans ce contexte que l'EURL JMLD PATRIMOINE assigne le CABINET GUINOT et les sociétés du groupe COLISEE pour obtenir essentiellement la condamnation de la société RESIDENCE LES VIGNES à lui racheter les cinq lots au prix de 471 000 euros, correspondant à la valeur du bien en juillet 2008, selon le tableau de simulation financière.

A titre subsidiaire, elle demande la condamnation des sociétés du groupe COLISEE à lui payer la somme de 280 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour tromperie et manquement à leur obligation de conseil et de loyauté.

 

La décision

En première instance, le tribunal de commerce de Bordeaux déboute la société JMLD de toutes ses demandes en faisant valoir que la société COLISEE PATRIMOINE n'a souscrit aucune obligation de rachat et qu'elle bénéficie au contraire d'une simple priorité d'achat.

L'EURL JMD fait appel.

La cour d'appel de Bordeaux confirme l'absence d'obligation de rachat mais elle condamne les sociétés du groupe COLISEE et le CABINET GUINOT à verser 200 000 euro à titre de dommages et intérêts pour manquement à leur devoir d'information pré-contractuelle.

La cour fait notamment observer à propos du tableau de simulation :

"Il ressort de ce tableau qu'il s'agit d'une opération lucrative, non seulement en raison de ses incidences fiscales mais également du fait de l'augmentation constante de la valeur des biens acquis.

Si, certes, ce document précisait qu'il n'avait qu'une valeur indicative, la SARL CABINET GUINOT, qui n'a pas hésité à l'élaborer et le produire pour convaincre l'investisseur potentiel, n'en engage pas moins sa responsabilité au regard de son devoir d'information pré-contractuelle dès lors qu'elle n'a pas attiré l'attention de la personne démarchée sur l'impossibilité dans laquelle elle était, comme elle l'explique aujourd'hui, de maîtriser les variables intégrées dans ses calculs, si bien que sa projection n'avait aucune valeur scientifique et économique".

Le GROUPE COLISEE et le CABINET GUINOT ont fait un recours en cassation pour contester la décision de la cour d'appel de Bordeaux. Ils invoquent essentiellement l'absence d'obligation de rachat. Ils remarquent également que l'erreur consistant à croire en une progression constante et garantie de la valeur du bien immobilier n'était pas excusable. Ils font valoir que le manquement au devoir d'information précontractuelle n'est caractérisé que si son auteur a donné une information regardée comme fausse ou insuffisante, et dont les carences ou les consignes n'ont pu être décelées par le futur cocontractant et on contribué ainsi à déterminer à s'engager.

Mais la cour de cassation valide en totalité la décision de la cour d'appel de Bordeaux. La cour relève que l'EURL avait reçu un document intitulé "stimulation package LMP"correspondant dans ses prémisses à l'opération qui sera ensuite finalisée par les parties et que la société CABINET GUINOT n'avait pas hésité à élaborer et à produire ce document pour convaincre l'investisseur, sans attirer son attention sur l'impossibilité dans laquelle elle était de maîtriser les variables intégrées dans ses calculs, si bien que sa projection n'avait aucune valeur scientifique et économique.

 

Mes observations

Cette décision est remarquable à plus d'un titre.

Tout d'abord elle condamne, pour la première fois à ce niveau, les pratiques douteuses et très fréquentes des commercialisateurs des produits de défiscalisation, et matérialisées par la remise d'une simulation mensongère.

Ces commercialisateurs démarchent en effet souvent leurs clients sur la base d'une estimation chiffrée excessivement optimiste, voire franchement mensongère. Ils font miroiter notamment une fausse rentabilité locative avec des recettes majorées et des frais minorés et une valorisation du bien à terme de caractère au minimum hypthétique.

La simulation ainsi donnée au client est souvent décisive pour réussir à le convaincre.

Au cas particulier, la simulation faisait croire à l'acheteur qu'il pouvait compter sur une valeur croissante de son bien. Il semble même que le commercialisateur ait fait croire à son client qu'il pouvait compter sur un engagement de rachat de son bien au prix fixé dans la simulation.

C'est d'ailleurs ce qui va déclencher le litige. Le client attaque le promoteur et son mandataire en exigeant qu'ils tiennent leur promesse de racheter le bien au prix fixé dans la simulation.

Le client floué va réagir très tôt, juste après l'achat, pour exiger qu'il lui soit formellement proposé un engagement de rachat. Le CABINET GUINOT adresse alors à M. Z un engagement de rachat minimum que ce dernier refuse, les valeurs de rachat étant inférieures à celles mentionnées sur le tableau de simulation présenté lors de la signature de l'acte de réservation.

Il est probable que la simulation devait prévoir implicitement la possibilité de revente à un certain prix après 5 ans, soit le délai nécessaire pour que l'investissement bénéficie de l'exonération de la plus-value selon le régime LMP. Le contrat de réservation prévoyait un droit de priorité pour le promoteur en cas de vente, ce qui n'a rien à voir avec une obligation de rachat, mais ce qui peut prêter à confusion.

Donc après 5 ans, le client revient à la charge et, suite au refus des intervenants du package de racheter son bien au prix convenu, il les attaque en justice pour les obliger à faire ce rachat.

Bien sûr les juges lui donnent tort sur ce point. Il n'y avait aucune obligation de rachat.

Mais les juges d'appel font droit à sa demande subsidiaire d'indemnisation, en accordant une somme très importante de 200 000 euros, à titre de dommages et intérêts.

Pour justifier cette indemnisation, ils se fondent sur l'obligation précontractuelle de renseignement.

Ce concept a été développé pour obliger les professionnels à faire preuve d'un minimum de bonne foi dans leur comportement avant même la signature du contrat.

Le fait de faire référence à une obligation précontractuelle permet de contourner l'objection des vendeurs du produit de défiscalisation selon laquelle la simulation chiffrée n'avait pas de valeur contractuelle, qu'elle n'avait été ni datée ni signée.

Le promoteur et l'officine ont insisté sur le fait que la simulation avait été donnée à titre indicatif.

Ce point n'est pas contesté par les juges d'appel. Effectivement, la simulation n'a pas de valeur contractuelle. Mais elle a servi à vendre le produit, donc elle ne devait pas comprendre de fausses informations, des promesses intenables.

L'officine a fait remarquer qu'il était impossible de maîtriser les variables de la simulation, laquelle n'avait donc aucune valeur scientifique et économique.

Mais l'argument a été repris par le juge d'appel contre l'officine : si la simulation est à ce point fantaisiste, il est déloyal de s'en servir comme argument de vente.

Cette décision devrait inciter tous ceux qui font des simulations chiffrées à un minimum de prudence. Une simulation peut engager la responsabilité de celui qui la rédige. Il ne suffit pas de mentionner que la simulation présente un caractère indicatif ou "non contractuel" pour se dégager de toute responsabilité.

La mention "document non contractuel" qui figure (souvent en petit) dans ce type de simulation ne permet pas d'exclure toute mise en cause.

La simulation est un document très utile et important pour l'acheteur, car elle permet de chiffrer les conséquences de l'investissement en terme de trésorerie et de mesure le gain exact qui peut être espéré.

C'est bien d'ailleurs parce qu'il s'agit d'un document important que la simulation doit être faite avec un minimum de rigueur et de bonne foi. Il faut prendre des hypothèses raisonnables et ne pas faire miroiter des gains trop incertains. Il faut prévenir l'acheteur que certaines hypothèses de départ de la simulation peuvent donner lieu à des variations défavorables.

Certes, une simulation présente nécessairement un caractère aléatoire mais elle ne doit pas présenter un caractère mensonger, ou même exagérément optimiste.

Cette décision porte précisément sur la principale faiblesse des schémas de défiscalisation avec achat d'appartements dans les résidences : il est souvent très difficile de revendre un tel bien, contrairement à un bien immobilier classique. Les investisseurs se retrouvent souvent prisonniers de leur placement.

Cela peut d'ailleurs se révéler catastrophique dans certaines situations et notamment lorsque l'investisseur est obligé de vendre pour rembourser l'emprunt souscrit pour financer le schéma.

Autre point intéressant de cette décision, c'est la condamnation du promoteur. Il est jugé responsable des agissements de l'officine de défiscalisation car cette dernière était son mandataire.

De même, il y a lieu de noter que les intervenants du schéma sont condamnés à indemniser l'EURL alors que la simulation a été faite à un moment où l'EURL n'était sans doute même pas encore constituée. C'est l'investisseur personne physique qui a été trompé avant même de créer la société. Autrement dit, les juges ont fait preuve de réalisme, ils ont implicitement reconnus que l'EURL et l'investisseur devaient être confondus au titre de l'action en indemnisation. L'EURL n'est qu'un simple outil juridique de portage de l'investissement, qui a été créée d'ailleurs à l'instigation des vendeurs du schéma.

De même les juges ont tenu compte du fait que l'investisseur cherchait avant tout à faire un bon placement, que le produit vendu était d'abord un produit financier, et non pas l'achat d'un bien immobilier d'agrément.

Cette décision montre enfin la voie à suivre sur le plan juridique pour mettre en cause la responsabilité des intervenants d'un produit de placement complexe comme un schéma de défiscalisation, en cas de tromperie. Plutôt que d'invoquer le dol, rarement retenu par les tribunaux, il est certainement plus facile d'invoquer le non-respect de l'obligation précontractuelle de renseignements.

Décision de la cour de cassation

"Sur le moyen unique du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi provoqué, réunis, ci-après annexé :

Attendu qu'ayant relevé que la société Cabinet Guinot, gestionnaire de patrimoine spécialisée dans les produits défiscalisés, agissant à l'occasion d'une opération de démarchage pour le compte de ses mandantes, la société Colisée patrimoine, promoteur immobilier, et, sa filiale, la société Résidence Les Vignes, chargée de la commercialisation et de l'exploitation des programmes immobiliers, avait remis à M. X... auquel s'était substituée l'EURL JMDL, un document intitulé " stimulation package LMP ", correspondant, dans ses prémisses, à l'opération qui sera finalisée par les parties, soit l'achat de 5 chambres dans un immeuble, à usage de maison de retraite pour personnes dépendantes, vendu en l'état futur d'achèvement pour une valeur hors taxes de 2 575 000 francs, faisant ressortir qu'il s'agissait d'une opération lucrative, non seulement en raison de ses incidences fiscales, mais également du fait de l'augmentation constante de la valeur des biens acquis, et ayant retenu que la société Cabinet Guinot n'avait pas hésité à élaborer et à produire ce document pour convaincre l'investisseur potentiel qu'elle démarchait, sans attirer son attention sur l'impossibilité dans laquelle elle était de maîtriser les variables intégrées dans ses calculs si bien que sa projection n'avait aucune valeur scientifique et économique, la cour d'appel, devant laquelle les sociétés mandantes (les parties) n'avaient invoqué ni l'erreur inexcusable de l ‘ EURL JMDL, ni soutenu qu'elle était un investisseur averti, a, peu important l'absence d'obligation de rachat dans les actes signés, pu en déduire, sans violer l'article 1341 du code civil, que la société Cabinet Guinot avait manqué à son obligation d'information précontratuelle à l'égard de l'EURL JMDL qui n'avait pu s'engager en connaissance de cause, et, qu'elle devait, avec les sociétés mandantes, indemniser cette société de son préjudice ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; "

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