La discrimination
La discrimination est le fait de traiter différemment deux personnes différentes, mais sans motif légitime.
Rien n'interdit évidemment de traiter différemment deux contribuables qui sont dans une situation différente, mais à condition que ce traitement différencié soit conforme à l'objectif de la loi et que cet objectif ne soit pas inconstitutionnel.
Si un crédit d'impôt est donné aux investissements utiles à l'économie, mais seulement ceux réalisés par les personnes qui ont les yeux bleus, il risque d'être difficile d'expliquer en quoi le fait d'avoir des yeux bleus est une nécessité du développement économique et pourquoi les personnes aux yeux marrons sont exclus du dispositif.
L'exclusion des meublés de tourisme du crédit d'impôt corse et le maintien des chambres d'hôtes
Il a été choisi d'exclure du crédit d'impôt les entreprises de meublés de tourisme mais en revanche les exploitants des chambres d'hôtes n'ont pas été exclus.
Or ces deux activités, sans être identiques, sont très similaires.
Il s'agit dans les deux cas d'héberger des touristes dans des logements.
L'activité de chambre d'hôtes (art. L. 324-3 et D 324-13 et 14 du code du tourisme) suppose de recevoir des touristes de leur proposer des services parahôteliers (accueil, petit-déjeuner, linge de maison et nettoyage des locaux).
L'activité de meublé de tourisme (art. L. 324-1-1 du code du tourisme) n'implique pas nécessairement de fournir des services parahôteliers. Mais le crédit d'impôt corse, s'agissant du financement des immeubles neufs, est réservé aux activités hôtelières ou parahôtelières, de sorte que seuls les meublés de tourisme fournissant les services hôteliers peuvent bénéficier du dispositif, du moins pour financer l'acquisition de logement neuf.
Donc dans les deux cas, il s'agit d'héberger des touristes dans des logements en leur fournissant des prestations parahôtelières.
La différence entre les deux activités et l'obligation d'avoir une personne dans le logement d'accueil
En définitive, la seule différence objective, dans le cas du crédit d'impôt corse, entre la chambre d'hôtes et le meublé de tourisme est que l'activité de chambre d'hôtes se déroule nécessairement chez l'habitant alors que le meublé de tourisme suppose un logement indépendant.
L'exploitant d'un meublé de tourisme n'habite pas dans les locaux loués alors que l'exploitant d'une chambre d'hôtes accueille les touristes chez lui.
Cette différence entre les deux activités justifie-t-elle un traitement différencié des deux activités ? Cette différence justifie-t-elle l'exclusion des meublés de tourisme, alors que les chambres d'hôtes restent éligibles ?
L'objectif de la loi
La différence de traitement entre le meublé de tourisme et la chambre d'hôtes n'est pas un hasard.
C'est un choix délibéré en vue de préserver les investisseurs corses au détriment des investisseurs continentaux.
Au cas particulier, l'amendement a été présenté à l'Assemblée Nationale avec la présentation officielle suivante :
"Le Crédit d'impôt pour certains investissements réalisés et exploités en Corse (CIIC) est une mesure fiscale importante en faveur des petites et moyennes entreprises (…)
Cependant, cette mesure a clairement été détournée pour bon nombre de promoteurs immobiliers ou sociétés de gestion patrimoniale qui présentent le CIIC à grand renfort de publicités, comme je cite – "un formidable outil d'investissement immobilier au service de l'optimisation fiscale" qui faciliterait les investisseurs "désireux d'acquérir un bien immobilier en Corse et dédié à la location saisonnière avec services parahôteliers". Dans les faits, ce CIIC a permis un abattement de 30 % pour la construction d'une résidence secondaire, destinée à la location meublée, sur une durée minimum de 5 ans.
Ainsi, on peut aisément dire que le CIIC a grandement participé au phénomène de spéculation immobilière et de dépossession foncière à l'œuvre sur l'île, au détriment des finances publiques et de la population insulaire pour qui il est difficile de se loger ou d'accéder à la propriété, à cause de la flambée des prix. Pour rappel, le taux de résidence secondaire est de 37,2 % en Corse alors qu'il est de 9,6 % en France."
L'objectif légitime de lutter contre le détournement du texte pour financer la construction de résidences secondaires
Si l'objectif de l'amendement était seulement de lutter contre le détournement du crédit d'impôt pour le financement de résidence secondaire, il pourrait effectivement apparaître comme légitime.
Il est effectivement envisageable de faire construire un logement en le finançant à hauteur de 30 % grâce au crédit d'impôt corse. Un tel schéma est possible même s'il implique en tout état de cause d'affecter le bien à l'activité touristique pendant 5 ans, conformément au régime légal du crédit d'impôt, avant de pouvoir utiliser le bien, 5 ans après, comme résidence secondaire ou comme résidence principale.
Le crédit d'impôt n'a pas pour objet de financer les résidences secondaires mais de permettre le développement de l'économie.
Donc, si l'objectif réel de l'amendement était de lutter contre le détournement du texte du CIIC pour financer des résidences secondaires, il serait légitime.
Mais tel n'est pas son objectif, ni affiché, ni effectif.
La mesure vise en fait à lutter contre les investissements des continentaux et à protéger les investisseurs corses
Mais, en ne visant que les meublés de tourisme, l'amendement préserve volontairement les investisseurs corses.
En effet, les continentaux créent rarement des activités de chambre d'hôtes en Corse.
Mais les corses qui veulent financer la construction d'une maison en Corse, pour une résidence principale ou pour une résidence secondaire, pourront toujours le faire, en choisissant d'investir sous la forme d'une chambre d'hôtes.
Le motif officiel de l'amendement l'exprime déjà par l'utilisation des expressions "dépossession foncière" au détriment de "la population insulaire".
Cette interprétation du texte comme visant les continentaux est confirmée par les déclarations des auteurs de l'amendement dans la presse.
Dans un article de France 3, il est reporté un tweet de M. COLOMBANI :
"L'Assemblée a adopté notre amendement visant à mettre fin aux dérives du CIIC. Seuls les investissements après le 1er janvier 2019 seront touchés. Avec le gouvernement nous allons encore sécuriser le texte en 2ème lecture pour préserver les familles corses."
Un article du quotidien Corse Matin indique notamment :
"Il a été toutefois demandé que soient exclues de l'amendement les chambres d'hôtes aménagées souvent dans les villages par des familles corses pour remettre de l'économie dans le rural. En revanche, les locations meublées sont bien concernées par l'amendement."
Il rapporte également les déclarations de M. Jean-Félix ACQUAVIVA, auteur de l'amendement, selon qui la réforme du CIIC touche principalement "ceux qui ont des résidences fiscales ailleurs qu'en Corse".
Donc l'objectif affiché du texte n'est pas de lutter contre l'utilisation du crédit d'impôt corse pour faire construire des résidences seconcaires en général, mais de lutter contre l'utilisation du crédit d'impôt par les continentaux pour se faire construire une résidence secondaire en Corse. Il s'agit d'un objectif natialiste visant les non-corses.
Les investisseurs corses pourront toujours construire des maisons et ensuite les revendre aux continentaux en tant que résidence secondaire
L'effet réel de l'amendement est conforme à l'objectif affiché car le fait de ne pas exclure l'activité de chambre d'hôtes permet de sauvegarder les investisseurs résidents corses.
De fait, si les continentaux seront gênés pour faire construire des maisons neuves en Corse, suite à l'exclusion de l'activité de meublé de tourisme, les résidents corses pourront eux continuer de faire construire des maisons neuves, en développant l'activité de chambre d'hôtes.
Cinq ans après le début de leur activité de chambre d'hôtes ils pourront cesser leur activité et utiliser la maison comme leur résidence principale ou leur résidence secondaire.
Ils pourront même aussi revendre la maison à ces continentaux qui pourront en faire leur résidence secondaire.
Il n'y aura pas moins de résidence secondaire, il y aura moins de résidence secondaire financée par des investisseurs continentaux.
Autrement dit le traitement différencié, excluant les meublés de tourisme, mais maintenant les chambre d'hôtes, ne vise pas tant à lutter contre le détournement du crédit d'impôt utilisé pour financer des résidences secondaires, mais plutôt à lutter contre les investissements des continentaux, au détriment des investissements des résidents corses.
Il s'agit donc d'un traitement différencié contraire à l'objectif invoqué du texte. Et il s'agit d'un traitement différencié illicite, car contraire au principe constitutionnel d'indivisibilité de la République.
Il est en effet inconstitutionnel d'exclure les continentaux du droit d'investir en Corse et de réserver ce droit aux seuls résidents corses.
Atteinte aux situations légalement acquises
Le principe de la confiance légitime
La réforme du CIIC porte atteinte à la confiance que pouvaient légitimement avoir les contribuables, en vertu des textes eux-mêmes, de pouvoir bénéficier du CIIC jusqu'au 31 décembre 2020.
L'atteinte ainsi portée à la confiance légitime des investisseurs est contraire aux garanties constitutionnelles reconnues par le Conseil Constitutionnel, en l'absence d'un motif d'intérêt général suffisant.
Le principe de confiance légitime, c'est l'idée que toute réforme législative ne doit pas porter atteinte aux citoyens qui pouvaient, dans certains cas, légitimement espérer que les textes ne changent pas au point de venir remettre en cause leur situation personnelle établie dans le cadre d'une réglementation.
La confiance légitime, c'est le droit de croire à une certaine stabilité de la réglementation.
C'est un droit discutable et difficile à définir car il faut également préserver le droit du législateur de modifier la réglementation, notamment pour l'adapter aux évolutions sociales.
C'est un sujet très sensible en matière fiscale. Les contribuables doivent faire des investissements et ils font des simulations pour vérifier que les bénéfices retirés de l'exploitation de leurs investissements seront suffisants pour rentabiliser ces investissements.
Ces simulations sont basées sur des dizaines d'années car le retour sur investissement doit souvent être long.
Ces simulations sont basées sur un régime fiscal à peu près stable.
Une augmentation trop importante des prélèvements peut venir détruire les espérances de rendement.
Le principe de protection des situations légalement acquises
Le Conseil Constitutionnel n'a pas encore retenu le principe de confiance légitime comme un principe constitutionnel mais, de facto, il y vient progressivement.
Ainsi, dans une décision du 19 décembre 2013, le Conseil Constitutionnel a reconnu une protection constitutionnelle des situations légalement acquises, ainsi que des effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.
En l'espèce, le Conseil Constitutionnel a considéré que :
"Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations" (décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, cons. 14).
Le principe de protection des situations légalement acquises ressemble fortement au principe de confiance légitime.
Ce principe de protection des situations légalement acquises est fondé sur l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (1789), aux termes duquel :
"Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution".
Ultérieurement, le Conseil Constitutionnel a réitéré la position adoptée en 2013, dans une décision du 5 décembre 2014 relative à la constitutionnalité de l'article 2 de la loi de finances pour 2012 (décision n° 2014-435 QPC du 5 décembre 2014, Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, cons. 5).
Cette jurisprudence naissante fait écho à celle de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui a façonné le principe de confiance légitime (CEDH, 15 juin 2006, n° 33554/03, Lykouresos c/ Grèce ; CEDH, 26 mai 2011, n° 23228/08, Legrand c/ France), ainsi qu'à celle de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), pour laquelle le principe de confiance légitime est un principe fondamental du droit communautaire (CJCE, 5 mai 1981, n° 112/80, Dürbeck).
Par ailleurs, le Conseil d'Etat a déjà pris position sur le sujet, notamment au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), aux termes duquel :
"Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international".
Le Conseil d'Etat a considéré que :
"une personne ne peut prétendre au bénéfice [des] stipulations" de l'article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH "que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations" (CE 9 mai 2012 n° 308996 plén., min. c/ Sté EPI : RJF 7/12 n° 786).
Dès lors, il a conclu :
"Considérant, en premier lieu, que, devant la cour administrative d'appel de Nancy, la société EPI se prévalait de l'état du droit résultant de l'article 81 de la loi de finances pour 1998, qui avait institué un crédit d'impôt pour une durée de trois ans ; que ce dispositif fiscal assurait les entreprises créatrices d'emploi pendant la période considérée de recevoir en échange un crédit d'impôt imputable sur la contribution alors régie par l'article 235 ter ZA du CGI et le cas échéant reportable ; que l'espérance de bénéficier de ce crédit d'impôt pouvait être entièrement fondée sur ces dispositions, dès lors que l'essentiel du dispositif était fixé dès l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 1998 ; que le législateur avait fixé dès l'institution de ce crédit d'impôt la période de trois ans durant laquelle il était possible d'escompter en bénéficier, dès lors qu'il avait prévu de solder les crédits et débits d'impôt en résultant sur l'ensemble de la période de trois ans et non au terme de chaque année ; qu'ainsi ce dispositif de crédit d'impôt était de nature à laisser espérer son application sur l'ensemble de la période prévue, contrairement à d'autres mesures fiscales adoptées sans limitation de durée" (CE 9 mai 2012 n° 308996 plén., min. c/ Sté EPI : RJF 7/12 n° 786).
Suppression anticipée et abrupte du CIIC
Le crédit d'impôt avait fait l'objet d'un renouvellement jusqu'au 31 décembre 2020 à l'occasion de l'adoption de la seconde loi de finances rectificative pour 2014.
Tous les contribuables ayant réalisé un investissement en Corse éligible au CIIC avant la réforme de loi de finances pour 2019 pouvaient donc légitimement espérer pouvoir obtenir un avantage fiscal jusqu'au 31 décembre 2020.
Par la loi de finances pour 2019 du 28 décembre 2018 et son article 22 prévoyant une modification de l'article 244 quater E du Code général des impôts, il a été exclu du bénéfice du CIIC les investissements meublés touristiques à compter du 1er janvier 2019.
Cette suppression brutale a "pris à revers" les investisseurs alors que la construction d'un meublé de tourisme suppose de nombreux mois et des dépenses lourdes.
Les investisseurs ainsi bernés par l'Etat sont ceux qui avaient déjà fait des projets d'investissement, qui ont pu par exemple renoncer à investir dans d'autres projets.
Certains investisseurs ont pu déjà acheter un terrain ou réaliser des études commerciales.
Caractère incitatif du dispositif
Le régime accorde un crédit d'impôt très important pour inciter des investissements qui peuvent être très importants.
L'incitation est considérable, puisqu'elle peut porter sut 30 % du coût de l'investissement.
Délai potentiel assez long de mise en œuvre de l'investissement
Il peut y avoir un délai assez long entre l'engagement des premières dépenses d'un investissement et son achèvement.
Or, le crédit n'est accordé qu'au titre de l'année de l'achèvement de l'investissement.
Le crédit devant s'achever initialement en 2020, les investisseurs intéressés étaient tenus de faire leurs premières dépenses bien avant cette échéance en vue de terminer l'investissement fin 2020.
La question du caractère limité dans le temps du CIIC et sa fin anticipée
Le CIIC n'était pas une mesure incitative à durée indéterminée.
En 2018, le crédit était supposé s'arrêter fin 2020.
Donc, en 2018, le contribuable pouvait légitimement penser que le dispositif allait durer jusqu'en 2020.
Il pouvait donc légitimement engager ses premières dépenses en 2018, sachant que son investissement devrait être achevé fin 2020.
Le moment où se crée l'espérance légitime au crédit d'impôt
Dans la mesure où le CIIC incite à faire des investissements lourds qui ne peuvent se réaliser que sur une longue durée, il y a lieu de considérer que l'espérance légitime dans le crédit d'impôt est cristallisée dès l'engagement des premières dépenses significatives par le contribuable.
En effet, le principe de la protection du contribuable implique de le protéger à partir du moment où son projet se concrétise de manière significative.
Conclusion sur l'atteinte à une situation légalement acquise
Le fait de mettre fin, par anticipation, au crédit, fin 2018, en le réservant aux seuls investissements déjà achevés fin 2018 "prend à revers" toutes les personnes ayant déjà engagé des dépenses avant cette date, alors que rien ne pouvait laisser penser aux investisseurs que le dispositif pourrait s'arrêt aussi prématurément, et alors qu'il peut y avoir un long délai de réalisation de investissements éligibles.
Il s'agit donc d'une atteinte à une situation légalement acquise et à un espoir légitime de maintien d'un régime de faveur incitatif limité dans le temps.
Absence de motif d'intérêt général suffisant
Le législateur est en droit de porter atteinte à une situation légalement acquise mais à condition d'invoquer un motif d'intérêt général suffisant.
Il a déjà été expliqué que la réforme contestée n'a aucun motif d'intérêt général.
Il peut certes être invoqué l'idée de lutter contre le détournement du texte par certains investisseurs qui pourraient utiliser le crédit d'impôt corse pour faire financer leur résidence secondaire.
La lutte contre les résidences secondaires financées par le crédit d'impôt corse peut être présentée comme un motif d'intérêt général suffisant.
Mais le texte ne vise pas tant à lutter contre la construction de résidence secondaire qu'à lutter contre les investissements des continentaux. La preuve en est que le texte ne prévoit pas d'exclure du dispositif les chambres d'hôtes, les résidences de tourisme ou les hôtels.
Or ces bâtiments peuvent parfaitement, après 5 ans, être réaffectés à la vente aux continentaux pour leur permettre de les utiliser comme résidence secondaire.
Pourquoi ne pas avoir exclu ce type d'immeuble du crédit d'impôt corse dès 2019, comme les meublés de tourisme ?
La réponse est simple : il s'agit en fait de protéger les investisseurs corses au détriment des investisseurs continentaux.
Le motif réel n'est donc pas légitime.
De plus, la mesure n'est pas en adéquation avec le motif légitime. Si le but était vraiment de lutter contre certains abus, le texte aurait dû prévoir, non pas l'exclusion générale d'une activité comme celle du meublé de tourisme, mais plutôt, pour toutes les activités, des contraintes plus sévères d'affectation à l'activité professionnelle, notamment sur une plus longue durée, comme celle de la durée d'amortissement des biens.
Dispositif de mise en œuvre manifestement insuffisant
Même à supposer que le principe de l'amendement Acquaviva soit valable, celui-ci ne prévoit aucun dispositif sérieux relatif à la mise en œuvre de la réforme qu'il impose.
Le texte initial de l'amendement ne comportait d'ailleurs aucune précision sur la date de mise en œuvre.
Le texte a finalement été modifié, pour prévoir l'exclusion de l'activité de location de meublé de tourisme pour les investissements réalisés à compter du 1er janvier 2019.
Mais cette date de mise en œuvre n'ajoute en fait rien au texte et ne constitue pas un véritable dispositif de mise en œuvre raisonnable d'une telle modification.
En effet, ce texte prévoit seulement une date de mise en œuvre, de facto, à compter de la publication du texte car les lois de finances sont publiées en fin d'année. C'est la règle de droit commun en matière de date d'exécution d'un texte.
Le texte voté ne prévoit donc aucun dispositif de mise en œuvre avec un étalement dans le temps, pour protéger les investisseurs ayant déjà engagé des dépenses.
Le défaut de dispositif transitoire se traduit nécessairement par une atteinte aux droits acquis des contribuables et présente de ce fait un caractère manifestement excessif.
Le législateur aurait dû mettre en place un régime de mise en œuvre de la mesure suffisamment long pour respecter les droits fondamentaux des contribuables.
Deux réponses ministérielles ACQUAVIVA successives ont certes eu pour objet de mettre en place un tel régime transitoire de mise en œuvre.
Selon la première réponse (AN 12-3-2019 n° 15262), les meublés de tourisme sont éligibles s'ils ont fait l'objet d'un contrat de crédit-bail ou de vente en l'état futur d'achèvement conclus avant le 1er janvier 2019. De même sont éligibles les entreprises ayant conclu des contrats de construction avant le 1er janvier 2019 portant au moins sur le gros œuvre, hors d'eau et hors d'air, et ayant effectué une déclaration d'ouverture de chantier avant cette même date.
Selon la deuxième réponse (AN 30-4-1019 n° 18137), les ventes en l'état futur d'achèvement sont éligibles si elles ont fait l'objet d'un contrat préliminaire de réservation signé et déposé au rang des minutes d'un notaire ou enregistré au service des impôts des entreprises au plus tard le 31 décembre 2018.
Mais ces deux réponses sont des doctrines administratives qui ne peuvent assurer la même protection qu'un texte légal, notamment parce qu'elles peuvent être supprimées à tout moment.
Par ailleurs, ces réponses sont insuffisantes car elles limitent la protection à des cas particuliers. Par exemple, elles ne protègent pas les droits d'une personne qui aurait déjà acheté un terrain avant le 31 décembre 2018 en vue de faire réaliser une construction et qui n'aurait pas encore eu le temps de faire établir un contrat de construction, ou simplement de faire une déclaration d'ouverture de chantier.
Les réponses ministérielles Acquaviva sont sans doute opportunes mais leur existence démontre paradoxalement les insuffisances du texte de loi.
La mesure contestée serait certes moins discutable au plan constitutionnel s'il avait été prévu un dispositif sérieux d'application du texte, préservant les droits de tous les contribuables ayant déjà engagé des dépenses significatives avant le 31 décembre 2018.
Il n'y a aucun motif légitime qui pourrait justifier d'une application précipitée du texte, de l'absence de toute mesure d'étalement dans le temps pour l'entrée en vigueur du texte.
Une action en justice est engagée pour demander l'annulation de l'amendement Acquaviva
Dans le souci de protéger les investisseurs "piégés" par l'amendement Acquaviva, une action en justice a déjà été engagée pour faire constater le caractère inconstitutionnel de ce texte. Il s'agit d'un recours pour excès de pouvoir contre la deuxième réponse Acquaviva. Dans le cadre de ce recours (affaire n° 432067), il a été déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant le texte de loi initial.
Le Conseil d'Etat devra d'abord s'assurer que la question est sérieuse avant de la transmettre au Conseil Constitutionnel, qui, le cas échéant, se prononcera sur la constitutionalité du texte. Une décision devrait intervenir rapidement, en principe avant la fin de l'année.
J'informerai sur ce blog des suites données à cette procédure.