Cette décision n'est pas une surprise mais elle constitue la consolidation des positions retenues par les meilleurs auteurs : la parahôtellerie ne relève pas du régime de la location meublée car c'est une activité commerciale.
Cette décision porte plus généralement sur la question de savoir si la location meublée peut être considérée comme une activité professionnelle éligible à un régime de faveur réservé aux entreprises.
Le régime de l'apport-cession
Le régime de l'apport-cession est un régime très important utilisé par les chefs d'entreprise qui veulent vendre leur entreprise et réinvestir l'argent dans un nouveau projet, sans payer d'impôt sur la plus-value au moment de la vente.
Le fait de bénéficier de ce régime permet aux chefs d'entreprise d'éviter d'avoir à payer l'impôt sur la plus-value, et donc de garder tous les fonds provenant de la vente pour les consacrer au nouvel investissement.
Le schéma consiste à apporter la société à une holding, en régime de sursis ou de report d'imposition de la plus-value d'apport, puis la holding vend la société apportée, et réinvestit ensuite l'argent dans une autre entreprise.
La holding sert de structure interposée pour reporter la taxation de la plus-value au jour de la liquidation ou de la vente de la holding. Ce n'est donc pas un schéma miracle permettant l'exonération de la plus-value, mais juste un schéma pour gagner du temps sur la taxation.
La question est de savoir si la location meublée peut être un réinvestissement valide. La location meublée est-elle une entreprise au sens de ce régime ?
La loi sur l'apport-cession indique : "Les activités de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier sont exclues du bénéfice de cette dérogation."
La position du Conseil d'Etat dans l'arrêt du 19 avril 2022
Dans sa décision du 19 avril 2022, le Conseil d'Etat définit précisément les cas où la location meublée pourrait être considérée comme une activité éligible au régime de l'apport-cession, et plus généralement, selon moi, comme une activité éligible à tous les régimes de faveur réservés aux activités commerciales, distinctes des activités de gestion de patrimoine.
Il indique :
" (…) une activité de loueur en meublé ne peut être regardée comme un investissement à caractère économique que si cette activité de location est effectuée par le propriétaire dans des conditions le conduisant à fournir une prestation d'hébergement ou si elle implique pour lui, alors qu'il en assure directement la gestion, la mise en œuvre d'importants moyens matériels et humains.
"Dès lors qu'il n'était pas soutenu devant elle que l'activité de location en meublé en cause aurait été assortie de prestations para-hôtelières ou aurait été exercée dans des conditions d'exploitation telles qu'elle aurait impliqué des charges de gestion conséquentes pour M. B...,"
Pour le Conseil d'Etat la location meublée est une activité éligible dans deux cas :
1) en cas de parahôtellerie ou de prestation d'hébergements
2) ou sinon, si l'exploitation est faite par le propriétaire, la mise en œuvre d'importants moyens matériels et humains ou des charges de gestion conséquentes.
Mon analyse
Il s'agit selon moi de deux cas alternatifs et non de deux conditions à remplir cumulativement car les deux cas sont reliés par l'expression "ou".
L'arrêt répète deux fois ces deux cas avec deux formulations un peu différentes, une fois pour définir le principe, et une fois pour l'appliquer au cas d'espèce.
Le premier cas correspond à la nature de l'activité : il soit s'agir d'une activité de parahôtellerie.
Le Conseil d'Etat évoque le concept de prestation d'hébergement et la notion de prestations parahôtelière mais il ne propose aucune définition précise de la parahôtellerie. Donc le concept reste à définir.
Le deuxième cas est fondé sur les moyens.
Le critère de l'importance des moyens matériels et humains paraît logique. Une véritable entreprise suppose des moyens matériels et humains, contrairement à la gestion de patrimoine qui n'implique pas généralement des moyens importants.
Ce qui est curieux c'est que le Conseil d'Etat réserve ce cas à l'hypothèse où l'exploitation est gérée directement par le propriétaire. En effet, selon moi, peu importe que la gestion soit faite par le propriétaire ou qu'il fasse appel à un tiers pour réaliser l'activité. Dans tous les cas, l'existence de moyens matériels et humains importants fait présumer l'existence d'une véritable activité économique, par opposition à la gestion de patrimoine.
Le Conseil d'Etat devra préciser plus clairement ultérieurement ce critère des moyens matériels et humains, réservé au cas de la gestion par l'exploitant.
Pour comprendre cette décision, il est possible de lire les conclusions du rapporteur public.
Ces conclusions sont d'une grande qualité, mais illustre une certaine méconnaissance de la location meublée longue durée (au sens d'un bien loué à titre de résidence principale par le locataire).
Le rapporteur considère en effet que la location meublée longue durée s'apparente à la location nue, avec un régime juridique devenu similaire depuis la réforme de la loi ALUR.
C'est oublier que cette loi fixe très précisément une liste de meubles obligatoires très détaillée et très importante. En pratique, le locataire peut juste venir avec sa valise dans les locaux. Il doit amener un savon, sa brosse à dent et le linge de maison mais tout le reste doit être présent (même les couverts et l'aspirateur), de sorte qu'une location meublée longue durée se rapproche fortement d'une prestation d'hébergement. En conséquence, il est faux de dire que la location meublée longue durée est peu différente, économiquement et juridiquement, de la location nue.
Par ailleurs le rapporteur fait du hors sujet. Il indique que, pour déterminer la caractère professionnel ou non d'une activité de location meublée, il ne faut pas se référer au régime du LMP tel que défini à l'article 155, IV du CGI. Ce serait une bonne analyse s'il s'agissait d'évoquer des investissements faits par des particuliers. Mais, dans le régime de l'apport-cession, ce sont nécessairement des sociétés assujetties à l'impôt sur les sociétés qui investissent, donc, en tout état de cause, le régime du LMP de l'article 155,IV du CGI, qui concerne exclusivement des particuliers, est inapplicable.