L'arrêt n'est pas une surprise car le Conseil d'Etat avait déjà admis l'éligibilité de la location meublée au régime de l'apport-cession. Or ce régime est pourtant réservé par la loi aux activités commerciales et ce régime prévoit expressément l'exclusion des activités de gestion de patrimoine.
Il devait au minimum annuler la doctrine en ce qu'elle excluait l'activité de gestion de patrimoine du régime DUTREIL. Il l'a fait.
Mais il restait un autre débat possible.
En effet, pour que la location meublée soit bien éligible au régime DUTREIL, il faut aussi se poser la question de savoir s'il s'agit bien d'une activité commerciale car le texte de loi prévoit bien de limiter le régime aux seules activités commerciales (ou agricoles ou libérales).
Sur la question de savoir si la location meublée est bien une activité commerciale au sens du régime DUTREIL, la cour de cassation a déjà de facto admis cette éligibilité par deux décisions récentes (Cass. com. 1-6-2023 no 22-15.152 F-D : RJF 10/23 no 770 ; Cass. com. 21-6-2023 no 21-18.226 F-D : RJF 10/23 no 771).
La décision du Conseil d'Etat est, sur la question de la commercialité de la location meublée, très étonnante.
En effet, au lieu de s'aligner sur la position de la Cour de cassation, qui est de considérer que la location meublée est commerciale au sens du DUTREIL car elle relève de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), le Conseil d'Etat estime qu'il peut proposer sa propre définition de la commercialité éligible, en vertu du principe de l'autonomie du droit fiscal.
Donc le Conseil d'Etat ne fait pas référence à l'application du régime des BIC.
Mais il ne fait pas non plus référence au droit privé pour définir la commercialité, ce qui était une autre solution possible.
Il donne sa propre définition de la commercialité fiscale de la location meublée : la location meublée est commerciale si elle est exercée à titre habituel.
Donc pour le Conseil d'Etat, la location meublée est éligible au régime DUTREIL à condition qu'elle soit exercée à titre habituel.
Selon moi, à ce jour, compte tenu de l'état de la loi et de la jurisprudence, presque toutes les entreprises de location meublée doivent être considérées comme éligibles au régime DUTREIL.
En tout état de cause, la définition qui s'imposera en cas de litige n'est pas celle du Conseil d'Etat mais celle de la Cour de cassation, qui est encore plus simple : la location meublée est nécessairement éligible puisque l'activité relève des BIC.
Au moins pour l'instant, et contrairement aux dires de certains auteurs mal inspirés, il n'y a pas lieu d'exclure l'activité de location meublée au prétexte qu'il s'agit d'une activité de gestion de patrimoine puisque cette condition n'existe pas dans la loi et qu'il n'y a pas lieu de l'inventer. Par ailleurs, certaines activités de location meublée sont de véritables entreprises commerciales.
De manière plus générale, beaucoup de gens disent des anneries sur la location meublée car ils en ont une conception simpliste. Il y a de nombreux types de location meublée et il faut éviter de vouloir lui appliquer un régime unique.
En pratique
Attention au fait qu'il y aura sans doute, dès la fin de l'année ou ultérieurement, une réforme du régime DUTREIL excluant la location meublée. Ce sera dans la loi et donc ce ne sera plus contestable.
Cela étant, j'attends de voir le texte de loi car il est vraisemblable que l'exclusion de la location meublée ne sera pas indiquée directement mais qu'il sera prévu uniquement l'exclusion des activités de gestion de patrimoine, or, selon moi, seule la location meublée de longue durée sans service peut être légitimement considérée comme une activité de gestion de patrimoine.
Mais la location meublée de courte durée et la parahôtellerie, même de longue durée, doivent être considérées généralement comme une activité professionnelle au sens courant du mot et une activité commerciale, au sens du droit privé.
Exclure la parahôtellerie du régime DUTREIL serait selon moi une discrimination inconstitutionnelle.
Donc les débats et les contentieux ne seront sans doute pas terminés, même après l'adoption d'un nouveau texte.
Il y a une fenêtre de tir de quelques semaines pour faire une donation de l'activité de location meublée en régime DUTREIL (avec 75 % d'abattement) avant que la loi ne l'interdise.
La décision
CONSEIL D'ETAT
N° 473972
Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 10 mai, 26 juillet et 4 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. Nicolas XX demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet que le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a opposée à sa demande en date du 23 janvier 2023 tendant à l’abrogation du paragraphe n° 15 des commentaires administratifs publiés le 21 décembre 2021 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 en tant que ces commentaires précisent que sont exclues du bénéfice du régime institué par l’article 787 B du code général des impôts « les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation » ;
2°) d’annuler dans la même mesure les commentaires contestés ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a intérêt pour agir en qualité de loueur en meublé professionnel, a fortiori dès lors que l'administration lui oppose la doctrine contestée ;
- sa requête est recevable nonobstant la circonstance que la doctrine contestée a été publiée après la transmission à titre gratuit de l’activité de location meublée ;
- l’instruction contestée est illégale en ce qu’elle exclut, de manière générale et sans réserve, les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation du bénéfice du régime spécifique de transmission, dit « Dutreil », institué par les articles 787 B et 787 C du code général des impôts : ces activités peuvent en effet présenter un caractère commercial au sens du droit privé ou donner lieu à l’engagement d’importants moyens matériels et humains ; elles entrent dans le champ des bénéfices industriels et commerciaux tels que définis par les articles 34 et 35 du code général des impôts ; dans son acception courante, l’expression « location de locaux meublés » inclut des activités commerciales, comme la parahôtellerie ; la location de locaux meublés est reconnue par le juge civil comme une activité commerciale quand il s’agit d’une prestation d’hébergement ; le Conseil d’Etat juge que la location meublée peut être de nature professionnelle au sens de la taxe professionnelle;
- contrairement aux régimes légaux de l’impôt sur la fortune immobilière et de celui de l’apport-cession codifié à l'article 150-0 B ter du code général des impôts, qui excluent expressément les activités de gestion d’un patrimoine immobilier de la liste des activités commerciales éligibles, les articles 787 B et 787 C du code général des impôts ne prévoient aucunement cette exclusion, qui est un pur ajout de la doctrine, par là-même illégal ;
- quand bien même il serait jugé que les activités de gestion d’un patrimoine immobilier ne font pas partie, de manière générale, des activités commerciales, il conviendrait de réserver le cas où elles relèvent d’une véritable entreprise en raison des moyens matériels et humains déployés, de la technicité de l’activité, de l’existence d’un marché et d’une concurrence, de l’assujettissement à une réglementation spécifique, du caractère commercial, agricole ou libéral de l’activité ou de son régime social et fiscal, le Conseil d’Etat ayant d’ailleurs jugé, à cet égard, que les activités de location meublée non professionnelle au sens de l'article 155 du code général des impôts sont éligibles au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par des conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2023, le ministre de l’économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête. Il soutient que M. XX ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir et les moyens soulevés ne sont pas fondés.
En application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que la décision du Conseil d’Etat était susceptible d’être fondée sur le moyen, relevé d’office, tiré de ce que dès lors que la version des commentaires dont M. XX conteste la légalité mise en ligne le 21 décembre 2021 s’est substituée à celle mise en ligne le 6 avril 2021, les conclusions de la demande de M. XX, en tant qu’elles seraient regardées comme visant également le refus du ministre de procéder à l’abrogation de la version des commentaires en vigueur entre le 6 avril et le 21 décembre 2021, étaient privées d’objet à la date d’introduction de la requête et sont par suite irrecevables.
Par un mémoire, enregistré le 4 septembre 2023, produit en réponse au moyen d’ordre public, M. XX conclut aux mêmes fins que se requête.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Sous réserve du respect des conditions qu’il fixe, l'article 787 B du code général des impôts exonère de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, les « parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (…) ». L’article 787 C du même code prévoit, sous des conditions de même nature, l’exonération, dans la même mesure, des biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels qui sont « affectés à l’exploitation d’une entreprise Individuelle ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (…) ».
Le pourvoi de M. XX doit être regardé comme demandant au Conseil d’Etat d’annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a refusé d’abroger le paragraphe n° 15 des commentaires administratifs publiés le 21 décembre 2021 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOIENR-DMTG-10-20-40-10 en tant que ces commentaires indiquent que sont exclues du bénéfice de l’exonération prévue par l’article 787 B les parts ou action de société exerçant une activité de location de locaux meublés à usage d’habitation, ainsi que d’annuler ces commentaires.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre :
2. M. XX exploite une entreprise individuelle exerçant une activité de loueur en meublé. Par l’effet d’un renvoi explicite opéré par les commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, l’interprétation contenue dans les commentaires litigieux s’étend aux dispositions de l’article 787 C du code général des impôts applicable à sa situation. M. XX justifie ainsi d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision refusant d’abroger les commentaires contestés, qui interprètent la loi comme excluant l’activité qu’il exerce du bénéfice d’un avantage fiscal, et que l’administration lui oppose, d’ailleurs, pour le calcul des rappels d’impôt qui lui ont été notifiés à raison de la succession de son père. Il en résulte que la fin de non-recevoir opposée par le ministre doit être écartée.
Sur la légalité de la décision refusant l’abrogation des commentaires contestés :
3. Le paragraphe n° 15 des commentaires contestés énonce que : « Seules sont susceptibles d’ouvrir droit à l’exonération les parts ou actions d’une société qui exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l’exclusion des activités de nature civile. Pour l’appréciation de la nature de l’activité, il est admis de se reporter aux indications données dans la documentation afférente à la détermination de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière (BOI-PAT-IFI-20-20-20-30)./ Ainsi, pour l’application de l'article 787 B du code général des impôts, sont considérées comme activités commerciales les activités mentionnées à l'article 34 du code général des impôts et à l'article 35 du code général des impôts, à l’exclusion des activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier./ Les activités de construction-vente d’immeubles ou de marchand de biens sont par exemple éligibles./ Sont en revanche exclues : … les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation ».
4. D’une part, le fait de donner habituellement en location des locaux d’habitation garnis de meubles ne saurait être systématiquement regardé, pour l’application de la loi fiscale, comme une activité civile dépourvue de caractère commercial. D’autre part, si le législateur a précisé que, pour l’application des dispositions relatives à l’impôt sur la fortune immobilière, comme du reste pour d’autres régimes fiscaux, une activité de gestion de son propre patrimoine immobilier n'est pas considérée comme une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, aucune disposition de portée similaire ne permet, en revanche, de dénier de manière générale à la location de locaux meublés à usage d’habitation le caractère d’activité commerciale au sens des articles 787 B et 787 C du code général des impôts.
5. M. XX est donc fondé à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a refusé d’abroger le paragraphe n° 15 des commentaires administratifs cité plus haut en ce qu’il précise que les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation sont exclues du bénéfice du régime institué par l’article 787 B et, par renvoi, par l’article 787 C du code général des impôts.
6. Les commentaires en litige ayant été mis en ligne sur le site « bofip.impots.gouv.fr » le 21 décembre 2021, les conclusions de M. XX tendant à leur annulation, fût-ce par voie de conséquence de l’annulation de la décision attaquée, sont en revanche tardives et, par suite, irrecevables.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à ce titre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros, à verser à M. XX.
D E C I D E :
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Article 1er : Le refus du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et
numérique d’abroger le paragraphe n°15 des commentaires administratifs publiés au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 en ce qu’il exclut les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation du bénéfice du régime institué par l’article 787 B du code général des impôts, est annulé.
Article 2 : L’Etat versera à M. Nicolas XX la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. XX est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Nicolas XX et au ministre de l’économie,
des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique.