CAA de BORDEAUX - 4ème chambre
· N° 22BX02448
· Inédit au recueil Lebon
Lecture du mardi 10 octobre 2023
Président
Mme BALZAMO
Rapporteur
M. Michaël KAUFFMANN
Rapporteur public
Mme GAY
Avocat(s)
LOISEAU
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler quatre titres exécutoires émis le 28 septembre 2021 par la direction régionale des finances publiques Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, pour un montant total de 5 031 euros, de le décharger de l'obligation de payer cette somme et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 500 euros en réparation des préjudices matériel, moral et financier subis.
Par un jugement n° 2103257 du 8 juillet 2022, le tribunal administratif de Poitiers a annulé les quatre titres exécutoires émis le 28 septembre 2021, a déchargé M. B... de l'obligation de payer la somme de 5 031 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés le 9 septembre 2022 et le 17 janvier 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique doit être regardé comme demandant à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 8 juillet 2022 en tant qu'il a fait droit aux conclusions aux fins d'annulation et de décharge et de rejeter, dans cette mesure, la demande de première instance de M. B....
Il soutient que :
- l'activité de loueur en meublé de tourisme non professionnel, qui ne revêt pas le caractère d'une activité économique exercée à titre professionnel, n'est pas éligible au premier volet de l'aide instituée par le décret du 30 mars 2020 ;
- le législateur a entendu circonscrire le périmètre d'éligibilité au fonds de solidarité aux structures susceptibles de faire faillite et/ou de se voir appliquer les directives et règlements en matière d'aides d'Etat, ce qui n'est pas le cas des loueurs en meublé non professionnels ;
- cette activité, qui est de nature patrimoniale et ne saurait être assimilée à des activités hôtelières ou para-hôtelières, n'est pas mentionnée à l'annexe 1 dudit décret ;
- la volonté du législateur de ne pas inclure les loueurs en meublé non professionnels a été rappelée dans l'étude d'impact de la loi du 23 mars 2020 ainsi que dans les débats parlementaires.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 16 décembre 2022 et 14 février 2023, M. B..., représenté par Me Loiseau, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet du recours, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, conformément au jugement n° 2002280 du 16 juillet 2021 du tribunal administratif de Poitiers ainsi qu'à l'arrêt de la cour n° 21BX03734 du 10 mai 2022, de procéder au réexamen de sa demande d'aide exceptionnelle pour les mois de juillet à août 2020 dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé ce délai et à ce qu'une somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que le ministre n'a pas exécuté l'injonction au réexamen sous astreinte prononcée par la cour dans son arrêt n° 21BX03734 du 10 mai 2022 et que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts ;
- le code du tourisme ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michaël Kauffmann,
- et les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., qui exerce une activité de loueur en meublé de tourisme à Jonzac, a bénéficié, au titre des mois de mars à juin 2020, du premier volet de l'aide exceptionnelle prévue par le décret du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. Par un courrier du 15 janvier 2021, l'administration l'a informé que, dans la mesure où il ne pouvait être regardé comme exerçant son activité à titre professionnel, il n'était pas éligible à l'aide et les aides obtenues au titre des mois de mars à juin 2020 devaient donner lieu à récupération. En conséquence, quatre titres exécutoires ont été émis le 28 septembre 2021 pour un montant total de 5 031 euros. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel du jugement du 8 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé ces quatre titres exécutoires et a déchargé M. B... de l'obligation de payer la somme de 5 031 euros.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. L'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de cette épidémie et " notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi, en prenant toute mesure : / a) D'aide directe ou indirecte à ces personnes dont la viabilité est mise en cause, notamment par la mise en place de mesures de soutien à la trésorerie de ces personnes ainsi que d'un fonds (...) ". Sur le fondement de cette habilitation, l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant création d'un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation a institué un fonds de solidarité à destination des " personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation ". L'article 1er du décret du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité, pris en application de l'article 3 de cette ordonnance, définit le champ d'application du dispositif en disposant que : " Le fonds [de solidarité] bénéficie aux personnes physiques et personnes morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique, ci-après désignées par le mot : entreprises (...) ". Le décret, modifié à de nombreuses reprises depuis son édiction pour tenir compte de l'évolution de l'épidémie et des mesures prises pour limiter sa propagation, précise ensuite les conditions d'attribution des aides versées au titre de ce fonds. Parmi ces conditions figure, pour certaines des périodes couvertes par le dispositif d'aides, l'exercice d'une activité principale relevant de l'un des secteurs énumérés à l'annexe 1 ou à l'annexe 2 du décret, au nombre desquels : " Hôtels et hébergement similaire " et " Hébergement touristique et autre hébergement de courte durée ". Pour d'autres périodes, les activités relevant desdits secteurs bénéficient de conditions d'accès privilégiées au fonds de solidarité.
3. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que si le mécanisme d'aide exceptionnelle prévu par le décret du 30 mars 2020 cible prioritairement les entreprises des secteurs de l'hôtellerie, de la restauration, du tourisme, de l'organisation d'évènements, du sport et de la culture qui ont dû interrompre leur activité ou qui les exercent dans des conditions dégradées en raison des mesures de police administrative mises en place dans le cadre de la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19, il n'exclut pas pour autant de son champ d'application les exploitants individuels exerçant une activité économique qui rempliraient les conditions prévues par le décret. Pour l'application des dispositions de ce décret, doit être regardé comme exerçant une activité économique quiconque accomplit une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services ou se livre à des opérations comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.
4. D'une part, il résulte de l'instruction que, depuis le mois de mai 2018, M. B... propose à la location deux studios classés à Jonzac, spécialement construits et équipés pour accueillir des séjours touristiques de courte durée, dans le cadre d'une activité de loueur de meublé de tourisme. Au titre de cette activité, qui, selon les affirmations non contredites de l'intéressé, constitue l'essentiel de ses revenus, M. B... a déclaré des revenus de 17 132 euros au cours de l'année 2019 et, en raison de la crise sanitaire et de la baisse de fréquentation de ces studios, de 11 904 euros au titre de l'année 2020. Au regard des conditions d'exercice de cette activité, qui génère des recettes ayant un caractère de permanence, elle doit être qualifiée d'activité économique au sens et pour l'application des dispositions précitées du décret du 30 mars 2020. A cet égard, la circonstance que les recettes issues de la location de locaux d'habitation meublés seraient inférieures aux seuils définis par les dispositions du IV de l'article 155 du code général des impôts qui, s'agissant de la classification des revenus catégoriels, qualifie de " professionnelle " l'activité de loueur en meublé uniquement lorsqu'elle génère des recettes annuelles supérieures à 23 000 euros, n'est pas de nature à exclure l'exercice, par le loueur, d'une activité économique. De même, est sans incidence la circonstance que l'activité de loueur en meublé non professionnelle ne serait pas exercée au moyen d'une structure susceptible de faire faillite au sens du droit commercial ou de se voir appliquer les directives et règlements en matière d'aides d'Etat. Dès lors, le ministre n'est pas fondé à soutenir qu'en raison de sa nature même, l'activité exercée par M. B... ne revêtirait pas un caractère économique et serait exclue du dispositif d'aide dont il se prévaut.
5. D'autre part, il résulte des termes de l'annexe 1 au décret du 30 mars 2020 que le secteur d'activité de l'hébergement touristique et autre hébergement de courte durée, qui se distingue de celui des activités hôtelière et para-hôtelière également mentionné par cette annexe, fait partie des secteurs d'activité pouvant prétendre au bénéfice du mécanisme d'aide prévu par ce décret soit, pour certaines périodes, à titre exclusif soit, pour d'autres périodes, selon des conditions d'accès privilégiées. Contrairement à ce que soutient le ministre, l'activité de loueur de meublés de tourisme qui, en ce qui concerne la classification des équipements et aménagements de tourisme, sont classés dans la catégorie des hébergements autres que les hôtels et les terrains de camping aux articles L. 324-1 et suivants du code du tourisme, à l'instar des résidences de tourisme et des villages résidentiels de tourisme, fait partie du secteur d'activité de l'hébergement touristique et autre hébergement de courte durée, au sens et pour l'application des dispositions de l'annexe 1. Ainsi, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que l'activité exercée par M. B... est éligible au bénéfice de l'aide exceptionnelle, dans les conditions fixées par le décret.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit nécessaire de se référer aux travaux préparatoires de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ainsi qu'aux débats parlementaires, que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé les quatre titres exécutoires émis le 28 septembre 2021 et a déchargé M. B... de l'obligation de payer la somme de 5 031 euros.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par M. B... :
7. Par un jugement n° 2002280 du 16 juillet 2021, le tribunal administratif de Poitiers a annulé les décisions des 27 août et 9 septembre 2020 par lesquelles l'administration a refusé à M. B..., au titre des mois de juillet et août 2020, le bénéfice du premier volet de l'aide exceptionnelle prévue par le décret du 30 mars 2020 et a enjoint au directeur général des finances publiques de procéder au réexamen de sa demande d'aide exceptionnelle pour les mois de juillet et août 2020, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Par un arrêt n° 21BX03734 du 10 mai 2022, la cour a prononcé une astreinte de 25 euros par jour à l'encontre de l'Etat s'il n'était pas justifié, dans le délai de deux mois à compter de la notification de cet arrêt, de l'exécution du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 16 juillet 2021. Il n'appartient pas à la cour, dans le cadre du présent arrêt, qui concerne une période distincte, d'enjoindre à nouveau à l'administration de réexaminer la demande d'aide exceptionnelle présentée par l'intéressé au titre des mois de juillet à août 2020 ni d'assortir une telle injonction d'une astreinte. Dès lors, les conclusions susvisées ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. A... B....